Cinéa (1921)

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24 cmea Les pages de ma Vie par Fcdor Chaiiapine Mes .souvenirs datent de l'âge de 5 ans. Une soirée triste d'automne... Je suis chez Tiehon Karpovitch, le meunier à Ometevo, village des environs de la ville de Kazan, derrière le Faubourg des Drapiers. La femme du meunier, Kyrillovna, ma mère et deux ou trois voisines filent la laine dans une chambre mi-obscure, éclairée à peine. La lumière inégale et blafarde d'une « loutchina » (1) fait trembler les ombres le long du mur, comme si quelqu'un d'invisible remuait un voile noir autour de nous. On entend le bruit de la pluie derrière les vitres; le vent murmure dans la cheminée. Et les femmes filent en récitant doucement l'une après l'autre des histoires étranges et mystérieuses ou on apprend comment les maris décédés depuis longtemps reviennent auprès de leurs épouses survivantes. Tout d'abord un serpent ailé couvert de ilammes descend de l'espace aérien, c'est lui, le mari. Puis, après avoir lancé autour de soi des milliers d'étincelles, il se transforme en moineau et entre ainsi dans la pièce. Une fois là, il reprend son aspect humain Le voici, le mari bien-aimé, tel qu'il était de son vivant. Et la femme le caresse tendrement. Seulement en l'embrassant il ne fallait pas lui toucher le dos. « C'est que, mes belles, expliquait Kyrillovna, il n'a pas de dos. A sa place se trouve une flamme verte qui, si on la touche, est capable de il éclairage primitif, très en vogue chez les paysans NlSSes : des copeaux ;illninr> cl arrangés d.ltlS une sorte île vase île fer. brûler complètement l'homme tout entier et son âme avec! » Tous ces récits produisaient une très grande impression sur moi. Cela me plaisait et me faisait peur en même temps. Je me disais : « Il y en a des choses extraordinaires dans la vie! » Les récits terminés, les femmes, tout en filant, commençaient a chanter de lentes chansons mélancoliques où il est question de la neige blanche et touffue, de la tristesse virginale, de la pauvre petite « loutchina » qui éclaire à peine, vaguement. Et en effet, celle-ci n'éclairait guère. Au rythme des paroles tristes de la chanson, mon âme rêvait tout doucement à des choses confuses, indéfinissables; je volais au-dessus de la terre sur un coursier enflammé ; je courais à travers les champs couverts d'une couche de neige épaisse, d'une blancheur immaculée ; je m'imaginais voir Dieu Notre Seigneur en train d'ouvrir chaque matin une cage dorée et lancer par de là le ciel bleu, à travers l'espace, le Soleil, ce grand Oiseau de Feu. — Ce qu'il est tard ! Yvan aurait dû déjà être là !... C'était la voix de ma mère qui m'arrivait confusément à travers le brouillard de mes rêves. Yvan, c'est mon père. Il rentrait vers minuit. Le matin à 7 heures, il prenait son thé et se rendait à « l'audience ». Ce mot me faisait peur; il s'associait dans mon esprit avec l'idée d'un tribunal, des juges et j'avais entendu dire beaucoup de mal de la Justice. Plus tard j'ai appris que « l'audience ■» n'était autre chose que le bureau de l'administration locale du district où mon père travaillait comme simple employé aux écritures. De notre village jusqu'à ce bureau il y avait plus de six verstes. Mon père s'y rendait tous les jours vers 9 heures du matin. Il revenait vers 4 heures de l'après-midi pour dîner et à 7 heures, après s'être reposé et après avoir bu son thé, il disparaissait de nouveau jusqu'à minuit. Une fois je m'aperçus que deux jours passèrent sans que mon père ne fut rentré. Ma mère était toute affolée. Le troisième jour il apparut, complètement ivre. Ma mère l'accabla de reproches, — Qu'allons-nous faire maintenant? De quoi aurons-nous à manger? se plaignait-elle amèrement. Tout tremblant de peur, j'observais mon père qui vociférait en versant sur elle tout un Ilot d'injures des plus grossières. — Fiche moi la paix! Va-t-en au diable! Vous m'embêtez, vous autres! Je suis comme une bête de somme! Travailler tout le temps sans répit... Non, non! Il faut bien que je m'amuse aussi un jour! C'est alors que je compris que mon père va à « l'audience » pour travailler, qu'il est payé pour ça et qu'il a laissé au cabaret tout ce qu'il venait de toucher à la fin du mois ; d'ailleurs c'est ainsi que procédaient la plupart de ses collègues. Je compris aussi que de ces app.nntements mensuels dépend toute notre existence. C'est avec cet argent que ma mère achète les carottes, les pommes de terre et parfois toutes — ~~