Cinéa (1921)

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cinea 19 LES PAGES DE MA VÏE\ Par F. CHALIAPINE Il commençait par saluer poliment l'inconnu, en lui adressant la parole d'une manière très courtoise. Il arrivait qu'un monsieur très distingué prêtait l'oreille aux propos de mon père et avec un sourire extrêmement aimable le demandait à son tour : — Et vous désirez, monsieur? Et mon père de dire : — Je désire savoir pourquoi vous avez des yeux de cochon. Ou bien : — Est-ce que vous n'avez pas honte de promener dans les rues une gueule aussi dégoûtante? Alors le passant devenait furieux, traitait mon père de fou, en déclarant que c'est lui qui avait une gueule ignoble, etc. Généralement, tout ceci avait lieu après le « vingt du mois » date que je détestais de tout mon cœur. C'était le jour où tout ce monde au milieu duquel passait ma vie s'empoisonnait de l'eau-de-vie en bloc, sans aucune exception et se plongeait dans la débauche la plus noire. Les gens en se dépouillant de toute apparence humaine, se battaient entre eux, gueulaient à tue-tête, gémissaient, roulaient dans la boue, la vie devenait un cauchemar terrible, immonde, atroce. Le lendemain, mon père restait au lit pendant toute la journée et buvait du kwas avec de la glace. — Kwas!... C'était la seule parole qu'il prononçait durant toute cette période. Son visage devenait livide, ses yeux hagards. Ce qui me frappait surtout c'était la quantité du « kwas » qu'il avalait et je m'en vantais devant mes camarades en disant que mon père boit autant de « kwas » qu'un cheval de l'eau à l'abreuvoir. Ils ne s'étonnaient guère et me croyaient sur parole, semble-t-il. Lorsque mon père n'était pas saoul il me battait relativement peu mais cela lui arrivait quand même et sans aucune raison plausible, comme il me semblait. Je me rappelle d'avoir fabriqué un jour un cerf-volant C'était une merveille tout orné qu'il était de grelots et de boites d'allumettes. Au moment de prendre son essor, il s'accrocha au sommet d'un arbre et comme je ne voulais pas le sacrifier ainsi, je grimpai sur l'arbre, décrochai le cerf-volant et me mis à descendre. Je fis cela d'une façon si maladroite qu'à michemin j'eus une branche de cassée sous mon poids et en faisant des FEDOK CHALIAPINE dans Boris Godounow qui est avec La Pskowitaine, Judith et Le Prince Igor un de ses plus grands succès de chanteur tragique. volte-faces par dessus la haie et le toit je m'abattis par terre presque sans connaissance. Je restai étendu ainsi un temps indéfini, avec mon cerf-volant entièment brisé, puis je me relevai et après après avoir versé quelques larmes sur les restes du pauvre mutilé je trouvai d'autres distractions. Le lendemain mon père m'ordonne : Prépare-toi, on va aller aux bains! J'adore encore maintenant d'aller aux bains publics, mais les bains en province c'est vraiment une chose exquise! Et surtout parce qu'après le retour à la maison, on buvait chez nous du thé avec des confitures. A cette époque mon père et ma mère habitaient déjà le Faubourg des Drapiers. Donc, mon père m'amène aux bains. Il était de très bonne humeur. Nous nous déshabillons. Tout à coup il se met à me regarder fixement et en désignant du doigt mon côté droit, il me dit : — Qu'est-ce que c'est que ca? Alors je vis que tout mon corps était couvert de taches bleues et jaunes, comme une vraie peau de zèbre. — Je suis tombé. Cela m'a fait un petit peu mal. — Un petit peu? Mais ton corps est tout entier en rayures. Comment cela c'est produit? J'avouai tout. Mon récit terminé il prit quelques grosses branches sèches et se mit à me battre avec, en répétant : — Cela t'apprendra à grimper sur les arbres! Ce n'était pas la douleur physique qui me causait tant de souffrances, c'était la honte d'être ainsi exécuté en présence de cette masse de baigneurs qui, tous, étaient ravis d'assister à cette distraction inattendue. Ils rigolaient, sans aucune méchanceté d'ailleurs, et encourageaient mon père. — Vas-y, vas-y! Là! Flanque lui un bon coup! Pas la peine de prendre soin de la peau, elle ne sera que plus fraîche ainsi. Un bon petit coup dans le derrière! C'est ça! Encore! En général je n'étais pas très froissé lorsqu'on me battait, je trouvais cela tout à fait naturel. Je savais qu'au Faubourg des Drapiers tout le monde était battu, les grands comme les petits, sans trêve, le matin et le soir. Les coups étaient en quelque sorte une chose tout à fait normale, légalisée, inévitable. Mais une exécution publique aux bains devant toute une assemblée d'hommes nus et rien que pour les faire rire, m'offensait beaucoup. (A suivre) L. Valter trad.