Cinéa (1921)

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cinéa UNE ESTHÉTIQUE DU CINÉMA A propos du livre de M. Jean Epstein Il est facile de dire : « toute esthétique est vaine ; ce sont les œuvres qui comptent et non les doctrines ». Cette position se conçoit, dans une certaine mesure, tant qu'on parle de poésie, de musique, de peinture, en un mot : d'arts qui permettent matériellement de produire une œuvre et même de la faire connaître aussi facilement qu'une doctrine. Le cinéma, au contraire, se rapproche de l'architecture par les difficultés matérielles de réalisation qu'il comporte, difficultés qui rendent impossible de demander a un scénariste, metteur en scène, un échantillon réalisé de son talent; il faut juger sur plans et d'avance, ce qui suppose des règles de construction, une esthétique reconnue. Que les notions les plus élémentaires de cette esthétique soient généralement ignorées, on n'en saurait douter lorsqu'on constate les erreurs grossières que commettent, quant au choix du sujet, à la composition, au rythme, au montage, des cinéastes même avertis. Et l'on se rend compte que l'expérience individuelle de chacun, souvent inutile à lui-même, l'est toujours aux autres : ici, les architectes apprennent la bâtisse en construisant au petit bonheur, et il arrive que les édifices s'écroulent, ou, pour rester dans notre domaine, que les films rentrent dans le néant; ce, au grand dam des commanditaires, qu'on n'y reprendra plus, du public qui peu à peu se détourne du cinéma, et des véritables artistes qui voient les routes se fermer devant eux, tout cela parce qu'il n'existe ni tradition, ni doctrine. Cette esthétique indispensable de l'Art du Mouvement, dirai-je que M. Jean Epstein a essayé de la formuler? Je n'ose prêter cette intention — peut-être même faudrait-il dire, cette prétention — à l'auteur d'un livre charmant, amusant, plein de fantaisie et d'imprévu, et dont la forme est tellement liée au fond qu'il semble difficile de traduire la pensée de l'auteur dans une autre langue que la langue imagée et vibrante par lui adoptée. Les lecteurs de Cinéa ont déjà pu goûter, en deux fragments de M. Jean Epstein — Ciné Mystique et Le Sens 1 bis — ses dons de vision aiguë, précise, complexe, de coordination philosophique, d'expression rare et pittoresque. Il ne s'agit pas de le citer, mais de l'analyser. Donnons donc la parole, non point à l'auteur, mais à un disciple supposé, accoutumé à penser selon les formules et à parler selon le langage de l'esthétique classique. Voici, semble-t-il, ce qu'il nous dirait : « Le cinéma est mouvement. Vous ne devez donc jamais considérer une ELSIE FERGUSSON image en elle-même, mais toujours dans son devenir. L'immobilité au cinéma est aussi antinomique que le silence en musique. Une telle règle proscrit le paysage rigide, le pittoresque statique, la carte postale illustrée servie, soit isolément, soit comme décor d'une action. « Elle proscrit également toute vue prolongée d'un état. Notamment lorsqu il s agit d'un gros plan. Le gros plan est un élément essentiel à l'écran mais il faut qu il soit bref et mobile, qu'il n'arrête pas le rythme. « Le cinéma permet de voir successivement un être sous tous les aspects, à toutes les échelles, de l'analyser, de le décomposer suivant cha cune de ses dimensions matérielles. Et c'est une fin suffisante. Cessons d'avoir l'obsession du sujet, de la petite histoire; n'importe quel thème est bon, l'on peut même s'en passer, pourvu qu'il y ait prétexte à mouvement et à décomposition de gestes. « Suivez dans la rue un homme, une femme qui marche, attachez-vous à un bateau qui remonte un fleuve, à une barque qui danse sur les vagues ; rien qu'à voir et à montrer tous les aspects d'un de ces mouvements, vous susciterez un intérêt tout autre que celui qui résulte de ces intrigues psychologiques banales, vulgarisées par le roman et le théâtre. « Car enfin, qu'est-ce que le cinéma? Est-ce un art? Oui et non. C'est un procédé de connaissance et d'exposition, à la fois art, science et industrie. « Que signifie en matière d'écran la vieille formule : la nature vue à travers un tempérament? Ici le tempérament se fabrique en série : c'est celui de l'appareil qui prend les vues. « En résumé, les films seront sans sujet, ou, si l'on admet qu'il en faut un, comme concession au public, construit sur n'importe quelle don" née comportant mouvement et analyse de gestes. Cette analyse doit former l'objet principal du cinéaste, qui la poussera selon toutes les dimensions (et Dieu sait si M. Epstein est disposé à n'en voir que trois!) suivant tous les aspects du modèle. » * * * Ai-je rendu exactement les idées de M. Epstein? Il est relativement facile d'expliquer sa propre opinion, facile encore d'exprimer l'opinion directement opposée. Le plus embarrassant est d'exposer des théories que l'on trouve justes, mais qu'on plaie à des plans différents, qu'on obtient par d'autres raisonnements, qu'on subordonne à d'autres principes, principes que M. Epstein ignore ou dédaigne. Tout d'abord, je m'écarte nettement de lui en ce qui concerne la valeur d'un sujet. La plupart des hommes, il ne faut pas l'oublier, ne