Cinéa (1921)

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cinéa Le Cinéma, École de Crime zmmm t : Cinéa a reçu la lettre suivante, dont aucun indice extevneou interne ne permet d'affirmer — bien que la première hypothèse semble plus vraisemblable si elle est sincère ou si elle constitue une simple fumisterie. A titre documentaire, nous ne croyons pas devoir refuser de la publier. Monsieur le Directeur Je suis, je n'ai pas honte de l'avouer, cambrioleur. La Société m'a donné une instruction qui devait, paraît-il, m'ouvrir toutes les portes et j'ai constaté qu'elles ne s ouvraient qu'à condition de les aider, et n'ayant ni les relations, ni les dons physiques nécessaires pour réussir dans la politique ou la haute Banque, j'ai dû adopter un métier analogue, mais plus dangereux et moins rémunérateur. J'aime beaucoup le cinéma, surtout les films français, quant ils sont honnêtes et sentimentaux comme ceux de M. de Marsan. Et je trouve très agaçant d'entendre des gens, qui seraient absolument incapables d'ouvrir le tiroir de leur bureau avec un tirebouton, ou d'aller de Paris à Rouen sans billet, tomber sur le cinéma, déclarer que c'est une école de crime, où la jeunesse va puiser toutes les notions nécessaires pour escroquer, voler ou assassiner. Les escroqueries, je n'en parlerai pas; ce n'est pas ma partie, et tout ce que je puis dire c'est que si les honnêtes gens étaient aussi bêtes pour se laisser ilouer qu'on les montre dans les films, ce serait trop tentant de se mettre filou. Tenons nous-en au vol : ça me connaît. Eh bien, je puis vous dire que nous avons souvent ri, mes collègues et moi, en constatant comment étaient représentés, au cinéma, des travaux qui demandent tout un apprentissage Vous avez peut-être vu le film qui représente la fabrication des pianos à Springield (Connecticut)? Vous n avez pas eu l'idée, en rentrant chez vous, de prendre une scie et des planches, et de vous mettre à construire un quart-de-queue? Eh bienl vous réussiriez encore mieux que si vous vouliez forcer une serrure ou ouvrir un coffre d'après les renseignements que donne Jim, le Roi des Cambrioleurs, ou tout autre film de ce genre. Ah! il ne s'embête pas, Jim, quand il s'agit d'ouvrir les coffres du dernier modèle! Il arrive, la lampe électrique à la main, il colle l'oreille contre la paroi métallique, fait tourner le bouton fileté entre ses doigts, et... crac, le coffre s'ouvre ! Essayez sur le vôtre, en rentrantchez vous, si le coeur vous en dit! Savez-vous le temps que nous avons mis à ouvrir le coffre, chez le bijoutier de la rue de la Paix? Cinq heures, Monsieur; et si nous n'avions su que ce qu'on peut apprendre de notre métier sur l'écran, nous y serions encore. Dans le film, Jim est pincé parce quele vieux gardiende nuit se dégage de ses liens et va prévenir la police. Je l'avais prévu dès que j'ai vu la façon dont ils s'y prenaient pour le ligoter. Moi qui vous parle, je connais très bien la question, ayant servi à Versailles, dans les aérostiers: je sais faire des nœuds qui tiennent, et dans la bande de Frédéric Masson (rien de commun avec l'académicien ; c'est le vrai nom de mon copain, je le donne pour qu'on ne le reconaisse pas, car il a été condamné sous un faux nom) c'est moi qui était chargé d'amarrer les gens. Et je vous assure que vous pourriez me confier votre Houdini sans crainte de le voir sortir des cordes. Je ne parle pas des coups de revolver; je n'en ai jamais tiré dans le métier; Frédéric, qui n'avait pas beaucoup de préjugés, répétait volontiers qu'on s'évade de la Guyane, et pas de la guillotine; et avant chaque expédition, il nous fouillait pour être sûr que nous n'avions pas d'armes. Tout de même j'ai eu des histoires avec des types, comme tout le monde, et il a bien fallu que je sorte mon browning. Eh bien, je puis vous assurer que, lorsque je tirais, je ne faisais pas de grands gestes comme au cinéma, je n'avais pas l'air d'envoyer des coups de poing dans la figure des gens, et ça portait tout de même. Le seul acteur de cinéma qui ait l'air de savoir ce que c'est qu'un revolver, c'est Sessue. L'avez-vous vu dans El Jaguar, quand l'autre type le prenait à la gorge et que lui, sans bouger, lui appuyait son arme sur le creux de l'estomac, avec le sourire? Celuilà est épatant, j'aimerais à travailler avec lui. Pas avec Douglas, je ne pourrais pas le prendre au sérieux, ni avec Rio Jim, il a l'air trop triste, il doit faire de la morale entre les heures du travail .spécialement quand il est saoul. Il faut avouer d'ailleurs qu'au cinéma, la police n'est pas plus forte que les voleurs. Avez-vous remarqué comment ils s'y prennent pour courir après l'assassin? Ils se mettent en paquet, de manière à passer tous ensemble sur le pont miné; et lorsqu'ils attaquent la maison par devant, c'est rare s'il y en a deux ou trois qui vont guetter la porte de derrière. Aussi le lascar s'esbigne par là, quand on en est au six cent soixantième mètre : lire la suite dans Le Petit Journal. Je sais bien que, s'il était pris tout de suite on ne pourrait plus passer l'épisode suivant ; mais moi je parle seulement au point de vue instructif. C'est comme les femmes. Dans les films américains, toutes les bonnes femmes qui gagnent leur vie à danser dans les boîtes (il paraît qu'on peut y arriver, la-bas, en ne faisant que cette partie-là du métier : moi j'aime mieux le croire que d'y aller voir) sont des modèles de vertu, et un garçon n'a qu'à se confier à elles pour éviter tous les embêtements. (Je n'ai vu qu'un film où il y avait une poule de ce genre-là qui était peinte au naturel, et je vous assure que Rio Jim l'arrangeait comme elle le méritait!) Moi, la seule fois où j'ai été vendu, c'est par une femme; je m'en suis tiré et elle ne l'a pas emporté en paradis ; suffit, respectons le mur de la vie privée, comme dit Landru. Mais si j'avais un fils, je ne lui conseillerais pas de se fier à ce que racontent les films. Je vous écris tout cela parce que cela m'agace d'entendre dire des bêtises. Vous ferez ce que vous voudrez de ma lettre. Vous comprendrez les raisons pour quoi je ne signe pas. Avec tousmes remercîmentsd avance votre distingué. Le devoir civique aurait peut-être commandé de tenir à la disposition de l'autorité judiciaire cette lettre dont l'écriture, le timbre de la poste, lesempreintes digitales pourraient. si elle émanait véritablement d'un malfaiteur professionnel.constituer des indices intéressants. Il a paru toutefois que le devoir professionnel commandait à Cinéa de ne pas trahir la confiance ainsi manifestée par un rédacteur, même occasionnel. Aussi la lettre a-t-elle été détruite après composition de la première épreuve