Cinéa (1923)

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cinea LA PHILOSOPHIE DE DOUGLAS FAIRBANKS On a beaucoup parlé des tours de force de Douglas Fairbanks. Nul, mieux que lui, ne saute du toit d'un gratte-ciel à l'autre. Il n'est pas d'obstacle dont il ne puisse se jouer. Il fait de la voltige sur un pur-sang difficile comme vous en feriez sur une chaise. Il ne court pas. Il bondit. Je ne crois pas que nous l'ayons souvent vu courir. Il est toujours arrivé. Il est Douglas Fairbanks. Tout cela n'est que peu de chose pour nous séduire. Nous n'admettrons pas que le cinéma devienne un cirque d'acrobates. Et si nous n'en voulons pas à Douglas, c'est que nous avons deviné, sous son beau front, quelque chose qui pouvait nous réconcilier avec le sport. Nous avons compris clairement, pour la première fois, que, pour agir vite, il faut penser vite. Les athlètes n'y avaient point réussi, jamais aussi parfaitement. C'est qu'ils ne sont, sans doute, que des athlètes. Douglas, lui, est un artiste. Ne croyez pas que ce soit au secours d'une jeune fille blonde en péril qu'il se porte avec la vitesse de la foudre, c'est au service de quelque chose d'élevé Je sais bien que certains souriront et ne me croiront pas. Mais écoutez plutôt ceci, lisez ces lignes de notre confrère Léon Moussinac, parues dans un numéro du Mercure de France du 5 juillet 1922. « Les films américains présentent, « et Douglas réalise des « types » ca« ractéristiques en qui la foule trouve « un tremplin à ses aspirations in« conscientes. La poursuite, le saut « au-dessus de l'abîme sont cet élan « dans le tourbillon de quoi elle as« pire à être emportée, se sent déjà « un peu emportée. Et ces films ont « encore suffisamment de caractères « proprement visuels en dehors de « ceux que leur prête en abondance « la personnalité de l'artiste. Dou« glas est un carrefour, mais on s'y « croise moins qu'on ne s'y retrouve. « Une Aventure à New-York nous « révéla la vie prodigieuse que l'écran « transpose, la seule qui corresponde « à cet accroissement de vitesse de « notre pensée, à ce vertige sténo« graphique et télégraphique de l'ac« tivité contemporaine. Bousculade « éperdue, mais non point si éperdue « pourtant que nous ne puissions en « saisir le sens véritable, ni la se« crête harmonie. Et qui donc ré« clame de l'art une transposition! « Et qui n'a pas découvert en Dou « glas une interprétation person« nelle, originale, parfois inouïe de « puissance, de la vie qui ne nous « ravage point autant qu'elle nous « passionne, tant nous la sentons « chargée de devenir et tant sa mue « nous angoisse? » Aucun art n'avait, jusqu'à présent, réalisé la vie complète. C'est vers quoi s'efforce aujourd'hui le jeune cinéma, synthèse de mouvements. Douglas Fairbanks est le premier héros original de notre art. Qui pourrait admettre plus longtemps que les héros d'autrefois, dégagés par la poésie, la littérature, la musique, la peinture, la sculpture, héros cornéliens, romantiques ou simplement pittoresques, seraient transposés avec avantage à l'écran? Il leur faut la magie du verbe, l'exaltation symphonique, la couleur, le marbre. Le Cinéma demande, en même temps que de nouveaux symboles, de8 types neufs. Il jouit, pour les réaliser, les dégager, de son principe merveilleux et simple,, d'une technique naissante et déjà complexe. Douglas Fairbanks est le premier de ses types. Quel est-il? D'abord, il représente un idéal physique. Apte à triompher sans hésitation de toutes les difficultés, vigoureux autant qu'ingénieux, il est le chevalier des temps modernes. Au moyen âge, il eut inspiré une chanson de gestes. A Hollywood, il compose lui-même des symphonies de gestes. Il nous rappelle, à nous, Vieux Monde, que nous n'existons qu'en vertu d'un principe de lutte. Il l'exacerbe et l'entraîne à sa suite, dans le tourbillon de sa vie débordante. Nous ne pouvons le voir sans nous rappeler que nous avons des muscles et qu'il serait bon de ne pas trop les laisser dormir. Nous ne pensons pas à cela quand nous voyons un match de boxe ou un assaut d'escrime. Nous y pensons en présence de Douglas Fairbanks parce que nous le voyons vivre sous nos yeux, agir, lutter, se jouer de circonstances qui ne sont que des transpositions exagérées de la réalité où nous nous débattons nous-mêmes. Son décor, c'est le monde, parfois défiguré avec humour, mais tout de mêmele monde. Nous comprenons, en le suivant, son enseignement supérieur. Il nous apprend à penser vite, comme lui, à agir avec certitude, confiance. Regardez la salle obscure où se pres sent les visages levés vers l'écran, éclairés par le reflet de sa vie. Ils sourient. Tous ils sourient, comme lui-même. Certes, la vie ne nous permet pas d'introduire, dans nos propres gestes, autant de fantaisie. Mais, sans la fantaisie, la fiction ne serait point et c'est bien la meilleure façon de prouver, la plus franche aussi, qu'elle est fiction. Voilà le principe séducteur des compositions de Douglas Fairbanks. Son sourire n'est pas celui d'un athlète sûr de lui. Il estcelui d'un artiste qui se joue de vous comme de la vie. Vous êtes son dernier obstacle. Et, déjà, vous êtes vaincu. Avez-vous vu Cauchemars et Superstitions? C'est un film étincelant. Je vous défie de ne pas être possédé, quand vous l'aurez vu ou revu, par une sereine et souriante philosophie. Un tel sujet, il y a vingt ans, eut donné naissance à quelque vaudedeville de Palais Royal, et vous auriez, une fois de plus, souffert de la lourdeur des interprètes et du rire épais de vos voisins les épiciers. Douglas Fairbanks vit son rôle dans ce film, avec une légèreté indescriptible, avec une rapidité facile, avec une sympathie prenante. Il vous raconte ses malheurs le plus sérieusement du monde. Vous l'écoutez, comme nos pères eussent fait d'une bonne et gracieuse histoire, au Café Anglais. Et vous savez alors que, sous ce beau front sans ride, il y a quelque chose qui explique tout, quelque chose qui a su vous réconcilier avec la vie, avec vous-même — le talent. Admirons en Douglas Fairbanks le premier artiste qui ait su créer un type de héros moderne. Mais ce n'est pas assez. N'oublions pas qu'il est lui-même ce type. Une fois de plus, répétons qu'il ne s'agit pas déjouer au cinéma, mais de vivre. Que nous importent les sujets de ses comédies, les péripéties morales de ses aventures? Il semble lui-même les traiter avec une certaine indifférence. C'est lui que nous cessons de voir. Non, ce n'est pas assez de l'admirer, il faut aussi l'aimer. Il sourit, il nous tend la main. Il nous dirait : « Comment allez-vous? » nous ne pourrions que lui répondre, en redressant les épaules : « Le mieux du monde, comme vous voyez, Douglas. » Jean Tedesco.