Cinéa (1923)

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cinéa 17 Les Romans de ' Cinéa " CHAGRINE, DEMOISELLE PHOTOGÉNIQUE — Rien ne prouve encore que j'en aie un. — Pourtant à la fin, là, tu avais... — Peut-être y arriverai-je, mais alors il faudra toujours quelqu'un près de moi pour... pour me dire... enfin, tu sais, avec des paroles... certaines jolies choses fignolées... on fera de moi ce qu'on veut... ce qu'on veut... Elle rit, un peu confuse. — Si j'avais su.. . — Ah T dit-elle vite, toi, ce n'est pas la même chose... tu es peut-être le seul qui... Elle s'interrompt et fuit vers sa loge. Gloupier, là-bas, suit d'un œil noir celle qui sera vraisemblablement sa proie. III Chagrine est dans sa loge. Un peignoir à prétentions japonaises l'enveloppe et, devant la glace, elle retouche son masque de plâtre blanc-mauve que le feu des projecteurs a craquelé dans les coins. La boîte à maquillage a déversé sur la tablette un stock de fards roses, bleus, ocres, Dorin n° 2 et Leichener, un tube de vaseline anglaise, un étui de kohl avec son petit balai dur, et une serviette harmonieusement souillée par tous ces produits, vifs comme la palette de Van Dongen. La petite armoire grise, entr'ouverte, avoue quelques robes légères. A terre, la valise de cuir égratigné, sert de socle à de menus escarpins. Sur la glace ronde du lavabo, il a déjà été écrit avec du « blanc pour les mains » Vera Johnson. La petite efface de la paume, trempe son doigt dans la crème et écrit sur la glace: « Chagrine », en me regardant de côté. Une loge de cinéma ne ressemble pas à une loge de théâtre. C'est plus austère, et, en général, plus propre. Dans certains studios, elles ressemblent à ces affreuses ambulancesrnunicipales ou l'on donne les « premiers soins » aux noyés. Ici, tout est net, frais, honnête, bien récuré, et l'on n'a pas le temps d'épingler au mur par LOUIS DELLUC (Suite) les photos dédicaces d'auteurs et de camarades. — J'ai une transformation à faire, dit Chagrine. Elle cueille dans l'armoire une robe à damiers très cocasses et des bas d'un ton chair invraisemblable. — Regarde le mur, ordonne la pudique poupée. Je dis : — Oui, oui... Et je regarde Chagrine quitter en trois temps sa robe rose à volants roses. La voilà pareille à une petite femme de la Vie Parisienne , en culotte fragile, avec un semblant de soutien-gorge qui se borne à frôler deux miniatures capables de se soutenir parfaitement toutes seules. Quelque chose dans le masque contredit l'insignifiance galante du croquis! Un souci, une mélancolie inconsciente et vague sur ce front d'enfant, à qui la vie, dite facile, dispense tant de difficultés. Jolie, Chagrine, rarement joyeuse, qui me regarde la regarder, en se dandinant un petit peu sur ses gracieux fuseaux de jambes. — A quoi tu rêves, monsieur Daglan? Je souris. Je rêvais en somme. N'estvelle pas un drôle de rêve cette petite française pyrénéenne, incertaine et fugace comme un roman russe? — Ecoute, Chagrine... Elle s'assied et ôte ses bas avec soin. — Ecoute, Chagrine... Gloupier, que vas-tu en faire? Elle lève la tète, le temps de me laisser voir un mince pli à son front, et vite baisse le nez, en se donnant l'air de chercher une chaussure. — Comment veux-tu que je sache ? bougonne-t-elle . — Je crois que je le sais, moi. — AhT fait-elle d'une voix presque blanche. — Et ce sera une bêtise... Elle lace méticuleusement ses cothurnes de satin, courbée la tête au genou, pour ne pas me regarder. — Pardi, avoue-t-elle très bas. Et encore un peu plus bas : — Je n'y peux rien. — Je parle en allant et venant dans la blanche cellule. — Gloupier est un sale individu. Il est méchant. Il est bête. Oui, un triste sire, ma petite. Beau garçon, si tu veux, mais cher, un peu trop cher, comprends-tu ? Je 8ais que tu n'es pas une sainte. Seulement, je sais que tu es... que tu es... que tu peux être .. Enfin, tu as de jolies choses propres dans ta nature et tu dois éviter de les gâcher dans des aventures que... que tu risques de prendre au sérieux... Tu ne te méfieras pas de toi... tu es tellement seule dans la vie... tu seras faible, faible... tu n'arriveras pas à te dépêtrer de... de ce... de cette... AhT et puis, c'est un sale bonhomme, je te dis, un pas grandchose et, en somme, un voyou... — Toi, tu es jaloux, Daglan. Elle s'est levée et cherche au fond de mes yeux. — Jaloux, moi ? Comme elle est fine, cette petite, et que fait-elle dans ces histoires bêtes de cabots, de films à la manque, de mœurs douteuses? Ce corps intelligent, si exactement équilibré pour la discrétion et la volupté, et ce front où il n'y a point de place pour la bêtise... La bouche puérile, quasisensuelle, fugitivement, une esquisse de bouche toute en tendre promesse qu'il faut savourer des yeux avant d'y risquer le brusque ou le subtil contact. Je dis pourtant, m'écoutantà peine parler : — Ma petite Chagrine, je ne suis pas jaloux, je ne sais pas si je te désire, je ne veux pas le savoir... voistu, je te trouve si semblable à ce qu'on doit aimer que je n'aurais... que je n'ai rien à te dire... une fois pour toutes je me suis abîmé, livré, transporté, dans un amour complet et absolu, et ainsi les choses de l'amour sont vraies pour moi. Quand je te vois, quand je suis près de toi, je me demande si je n'entre pas dans un nouveau bonheur. Et puis je me réponds, évasivement... je ne suis pas jaloux, Chagrine... je ne suis pas...