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cinea
MM LES AGES HEROÏQUES MM
PROPOS POUR NOUS CONSOLER D'ÊTRE AU MONDE
Ah ! comme nous vivons !
Quelle chance est la notre, de vivre à cette époque !
Pourquoi riez-vous ?
l'n humoriste moi ? Non ! Je m'en défends. Mes amis •vous diront tous que je suis justement le contraire de cet animal-là. Je passe volontiers pour un être grandiloque et encombrant.
— Il fait de la littérature à propos de tout î
Oui... Ça repose de ceux qui font de tout à propos de littérature.
Et si je vous dis que je suis content d'être au monde en l'an de grâce 1!I21 c'est que je le pense tout uniment, tout simplement.
Tout de même, en y réfléchissant, ça n'est pas si simple que cela. Il faut donc que je m'explique à vous, Madame, qui ne pouvez reconquérir votre sérieux, à vous. Monsieur, qui hausse/, les épaules . . Expliquonsnous. On n'a rien trouvé de mieux pour compliquer les choses.
Tout d'abord il est bien convenu que je me place au point de vue du Cinéma. Peut-on dans Cinca en envisager un autre? Donc, à ce point de vue, je m'estime bien content de vivre à notre époque.
On y fait beaucoup de mauvais films.
On en fait quelques-uns qui ne sont pas mauvais.
On y censure à tort et à travers. On travaille dans des studios ridicules, ou exigus, ou sales, ou froids, ou chauds. On ne trouve des capitaux que pour les mauvaises besognes. Mille marchands répandus dans le temple y font un bruit de cacatoès dans une rotonde. On y débite la sottise au mètre. Plus c'est bête, plus c'est cher.
Parfois un éclair de vraie beauté passe et alors tout le monde se bouche les yeux ou le ne/.. Tout le monde crie :
C'est honteux !
Et c'est bien honteux en effet, et cruel, de mettre tant de cloportes face à face avec Minerve.
Les tourneurs s'agitent sans qu'aucun dieu les mène. M. Aubert a îles digestions difficiles. Des esthètes transalpins font se pâmer les foules devant Gigolette. Le ciné-roman achève de rendre gâteux ceux que les superproductions Chose avaient abrutis. Toutes les midinettes rêvent de Mlle Huguette Duflos. On brime, on étouffe, on bouillonne ou l'on moque tous ceux qui osent faire quelque chose.
Ah î comme nous vivons !
Quelle chance est la nôtre, de vivre à cette époque !
Lien. Maintenant essayez un peu d'une anticipation. Prenez, métaphoriquement, « de la bouteille ». Nous voici en 1960. Nous sommes moins nombreux. . . Oui, il y a toujours du déchet dans ces sortes d'aventures.
Quelle belle époque !
Il n'y a plus que des films parfaits, fous les metteurs en scène ont compris le cinéma, ce qui est presque miraculeux. On a aboli toute censure. Et ça n'empêche pas les films d'être beaux. Les studios sont des palais où l'air, la lumière et la chaleur régnent en maîtres pacifiques. Tous les capitaux du monde sont à la disposition des artistes. Mille directeurs intelligents célèbrent le culte nouveau et leur assemblée est plus harmonieuse que la musique des sphères. On y agite de sublimes concepts.
Lorsque un film plus beau qu'un autre se présente, on voit des océans de foules clamer leur amiration. Les tourneurs ont du génie. M. Aubert est mort.
Par extraordinaire on ne l'a pas remplacé.
Et Mlle Huguette. Duflos joue Célimène, écrit aux journaux et casse des portraits aux Humoristes loin de l'appareil monoculaire et peu flatteur. . .
Non ! mais. . sentez-vous bien à quel point on peut s'embêter?
Je vis.
Vivre c'est lutter, c'est batailler joyeusement pour une idée, pour un homme. C'est désespérer parce que la bêtise est immense et puis soudain c'est reprendre espoir parce que l'on est jeune et que l'avenir nous est promis. C'est s'indigner et c'est sourire. C'est se lamenter et s'enthousiasmer tour à tour, agiter des idées, alimenter des controverses, se faire des amis et des ennemis.
Vivre c'est faire partie de cette génération batailleuse qui monte et cherche à renverser les idoles. C'est être de ceux qui, lassés un jour de cet air « trop poli pour être honnête », qui fut le plus clair savoir de nos aînés, ont désiré qu'on les dise trop honnêtes pour être polis.
Ne vous y trompez pas, Monsieur, et vous Madame, nous vivons les temps héroïques du cinéma. Nous luttons pour fonder quelque chose de grand.
Ils nous envieront nos fils, comme nous envions les compagnons d'Antoine qui viennent nous dire :
— J'étais du Théâtre-Libre I
Et comme les compagnons d'Antoine enviaient ceux qui leur disaient :
— Si vous aviez vu Frederick... Taillade. . . Mélingue. . .
Oui. . on rira de nous. On nous traitera de vieilles barbes. Tout le même, nous aurons vécu !
Alors pourquoi attendre, pour nous réjouir de ce que nous voyons, le temps où nous dirons :
— Moi qui vous parle... J'ai vu censurer La Bouc... vous savez bien... cette petite bande si convenable qu'on montre aux visiteurs du Musée Cinématique î Ah I c'était le bon temps !
C'était ? Non, non ! C'est T Ah î comme nous vivons ! Quelle chance est la nôtre, de vivre à cette époque î
Pierre Scize.