Cinéa (1921)

Record Details:

Something wrong or inaccurate about this page? Let us Know!

Thanks for helping us continually improve the quality of the Lantern search engine for all of our users! We have millions of scanned pages, so user reports are incredibly helpful for us to identify places where we can improve and update the metadata.

Please describe the issue below, and click "Submit" to send your comments to our team! If you'd prefer, you can also send us an email to mhdl@commarts.wisc.edu with your comments.




We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.

Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.

12 cinea COMMENT JE SUIS DEVENU COW-BOY EXTRAIT DE MÉMOIRES Saint-Joseph-les-Maraie, mai 1910. A Georges Delaw. Mon vieux. Toi qui m'entendais la semaine dernière parler cubisme au eafê, sans autres projets en tête que de révolutionner le monde avec mes pinceaux, tu vas t'êtonner sans doute du pays lointain dont ma lettre est datée. Qu'a-t-il été faire là-bas? vas-tu dire. Mon vieux, c'est simple, parce qu'extravagant : je suis eow-boy. Je fais du ciné. Je te vois, si ce récit était fait de vive voix, me sourire, te caler dans ta chaise, bourrer ta pipe, en me disant : raconte?... Eh bien! allume-la et écoute. Passons sur les relations qui me tirent parvenir jusqu'à l'antre de Borland, le célèbre metteur en scène des Etablissements Z... Ayant gratté l'huis, un sonore « Entrez » me fait ouvrir une porte au montant de laquelle je lis, sur écriteau plagiaire : « Ne dites pas bonjour le Blount s'en chargera ». J'avance, un peu intimidé, vers un homme jeune, frisé, bien taillé, genre Américain. Présentations, mes recommandations font bon poids, et l'interrogatoire commence aimablement. Avez-vous déjà tourné ? Je mens, en citant le nom de plusieurs maisons concurrentes. — Etes-vous acrobate ? — Mon DieuT pas de métier, mais j'ai fait beaucoup de sports, et cela, joint à quelques aptitudes phvsi ques... — Bien. Savez-vous nager? — Mon livret militaire en fait foi. — Savez-vous tomber de cheval? Mes tu vauteurs m'avaient bien dit : « On te demanderas si tu sais « monter achevai», mais tomber... Diable! voilà une question à laquelle j'étais loin de m'attendre.. . et comme ma réponse tardait, il réitéra, croyant sans doute que je n'avais pas compris : — Savez-vous tomber de cheval? ... Oui,répondis-je, de l'air assuré du Monsieur qui n'a fait que cela toute sa vie, cependant que la sueur du mensonge se faisait une rigole du bas de mes reins. — Parfait, monsieur! nous partons ces jours-ci faire une série de films de l'Ouest Américain, voulez-vous être des nôtres ? Nous discutâmes les conditions, je signai l'engagement, et Borland prit congé de moi sur ces mots : — A bientôt, tenez-vous prêt, on vous écrira. Huit jours après, cependant que le P.-L.-M. roule et que j'écoute son « tunk tunk » rythmé d'allegro, sur lequel chante en moi une vague symphonie, je fume des cigarettes accoudé à la barre d'appui du couloir, en regardant la nuit au dehors. Sous ce beau ciel étoile de mai, il m'emporte avec des compagnons inconnus, vers la Camargue, notre Ear-West, où je dois vivre, tu le verras, une vie merveilleuse. Minuit. Depuis quelque temps déjà les conversations ont pris fin, je suis le seul vojageur attardé dans le couloir, les autres ayant regagné leurs coins respectifs, j'éprouve le besoin de me reposer aussi et je rentre dans mon compartiment. Quelle vision d'horreur! Tous mes compagnons ont l'air d'avoir péri d'une mort violente. Ils sont là, vautrés, accotés l'un à l'autre, celui-ci a son faux-col défait, sa tête dépeignée, sa bouche est ouverte, la veilleuse du plafond lui marque en noir les cavités des yeux et met des creux dans ses joues, il est livide, on a dû l'égorger! Celuilà, la tète renversée sur l'épaule du voisin est plus hideux encore, le peu de langue que montre sa bouche entr'ouverte indique bien qu'il a succombé à la strangulation; et tous autour de moi ont des faces sans yeux, creusées, noires et blafardes, au hasard des poses, tordues, recroquevillées, ballantes ou crispées, ce sont tous un peu des cadavres, seul un bruit de respiration, un ronflement, m'avertit qu'ils n'ont succombé qu'au sommeil. Je ne puis reprendre ma place, un cadavre a mis sa tète où je devrais m'asseoir. Je n'ose le réveiller et je vais m'installer au bout du couloir, sur le strapontin que je sais libre. A quelqu'un cpii vous a affirmé savoir « tomber de cheval », il est superflu de demander s'il sait y « monter ». Un matin donc, quand costumé et grimé en guerrier Pawnie.je sors de l'hôtel, je trouve devant sur la place, des chevaux qui m'attendent, quelques frères de ma tribu les montent déjà, d'autres arrangent les brides. Le régisseur me désigne un grand bidet gris : — A vous, montez vite, on part ! Je considère la plus belle conquête de l'homme, et m'aperçois qu'elle n'a ni selle ni harnais, une simple bride lui passe dans la mâchoire, et son dos est nu comme celui d'un cheval au vert. Je vais réclamer, mais m'en retiens à temps : tous les autres sont ainsi. Naturellement, voyons! les fils de la Prairie, les Indiens du EarWest, montent leurs mustangs à poil. Le cheval est haut, son épine dorsale m'arrive à la hauteur de l'œil, pas d'étrier, comment faire pour m'y installer. Je pense aux petits escaliers de l'avenue du Bois, le long desquels les amazones parisiennes font ranger leurs demi-sang pour se mettre en selle, et je cherche quelque chose de semblable autour de moi. Rien. Seulement : je vois le régisseur empoigner la crinière de son 'cheval, de la main gauche, lui mettre la droite sur le dos, puis d'une flexion vigoureuse des jarrets s'élever en l'air, il passe vivement la jambe droite, et le voilà à califourchon. Je soupire en hochant la tète : « Ben, mon vieux ! » Je sens que l'on m'observe, et tous ces veux fixés sur moi réveillent mon