Cinéa (1921)

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cinea 17 Les Pages de ma Vie par Fcdor Chaliapine Des gens extrêmement affairée se bousculaient l'un, l'autre, en s'interpellant à haute voix, lançant fréquemment des jurons assez énergiques. Me faufilant doucement comme une souris j'arrivais sur la scène et alors mon rêve se transforma en réalité : j'étais entouré des peauxrouges, des hidalgos et autres personnahes chevelus. 11 est vrai que les hidalgos ainsi que les peaux-rouges s'exprimaient avec le plus pur des accents moscovites, mais cela ne leur enlevait pas leur charme; je regardais avec la plus grande joie ces visages fardés, ces costumes éclatants. Et puis, il y avait à côté d'eux des véritables pompiers avec leurs casques étincelants, tandis que là haut, aux galeries supérieures, des individus qui semblaient imiter le « paillasse » Mamonov faisaient des exercices d acrobatie qui me paraissaient extrêmement compliqués Tout ceci me fit une impression inoubliable, qui ne s'effacera jamais de mon imagination. Parmi les chanteurs de ce temps lointain j'ai gardé surtout le souvenir d'un nommé Ilyachevitch dans le rôle de Mephisto. J'avais entendu dire trop de mal du diable C'était d'après la conception qui était établie peu à peu mais d'une façon très solide, dans mon esprit, une créature très compliquée, ayant une existence presque réelle, se trouvant tout le temps parmi les hommes, pour leur causer des ennuis, des difficultés de toute sortes. Eh bien, chez ce chanteur tous ces traits diaboliques rece vaient une expression particulièrement éloquente. Lorsque je le voyais tout de rouge vêtu arpenter la scène en lançant ses fameuses invectives contre l'humanité qui se prosterne devant le veau d'or, ou bien dans les coulisses lorsqu'il s'entretenait le plus paisiblement du monde avec ses camarades, j'éprouvais une sensation de terreur et de joie en même temps : j'avais peur de lui et pourtant je l'admirais comme un être mystérieux surnaturel mais attaché à mon âme par des liens très étroits. Une fois quand je passais devant sa loge Ilyachewitch me dit : — Tiens, petit, voici vingt kopeks achète moi du raisin ! .. Je me précipitai vers la sortie et en bas sur la place publique devant le théâtre je trouvai chez les marchands tartares le raisin pour lui. A titre de récompense Ilyachewitch m'avait offet une toute petite grappe. C'était pour moi le comble du bonheur et je me décidai de porter ce cadeau à ma mère. Durant toute la représentation je la gardai soigneusement mais chemin faisant ma curiosité d'enfant qui n'avait jamais dans sa vie goûté du raisin, vainquit mes bonnes intentions et je le mangeai moimême. La jeunesse — les étudiants surtout — avaient leur favori : c'était le ténor Zacryewsky. Ils l'adoraient littéralement. Après la représentation on dételait les chevaux de son carosse et on s'attelaient à leur place ; alors un défilé triomphal commençait à travers toutes les rues de la ville. Je me rappelle quelle émotion j'éprouvais lorsque je sonnai à sa porte ou une petite plaque en cuivre por tait le nom et les prénoms du glorieux chanteur. Je n'ai pas encore oublié combien tremblait mon cœur à la seule pensée que dans un instant je serais en face de cet homme adoré et admiré partout le monde. Quelques années après je l'ai rencontré de nouveau : pauvre, affamé, malade, entièrement oublié. J'eus ce triste honneur de lui venir en aide un peu et je vis les larmes de dépit et de reconnaissance briller dans ses yeux... des larmes de colère impuissante... (A suivre) L. Valter, trad. j /^O A Fil /\f un volume illustre : tnriKLUl parLcuisDELLUC douzième I = édition = M. DE BRUNOFF, éditeur, 3?, rue Louis-le-Grand