Cinéa (1921)

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cinea Les Pages de ma Vie par Fedcr Chaliapine C'était une douloureuse rencontre. Mais c'est le sort d'un artiste chanteur. Il est le jouet du public, pas plus. Une fois la voix perdue — fini .. l'homme n'existe plus, il est oublié, délaissé par tous ses amis comme un petit soldat en bois qui a cessé de plaire à l'enfant. Et pour éviterceshumiliationsinjustes il faut travailler de toutes ses forces, lorsqu'on en est encore capable, s'y donner tout entier, sans restrictions. J achevai mes études à l'âge de treize ans et, ce qui étonna extrêmement mes parents, avec un diplôme d honneur. A dire franchement c'était le résultat d'une petite supercherie. A l'examen on proposa à chacun des candidats de composer un petit récit dont le sujet serait pris dans leur vie personnelle. J'étais persuadé qu'il me serait tout à fait impossible de rédiger une histoire dans ce genre et je me décidai d'en emprunter une dans un livre quelconque. Je ne me rappelle plus ou je sus dénicher l'aventure d'un petit garçon qui était parti avec son grand père à la recherche du combustible et qui ayant rencontré en route un serpent le tua courageusement. J'en fis un récit vraiment pathétique en citant mot par mot la conversation du vieux avec son petit-fils ainsi que tous les détails de l'ambiance etc.. En présentant mon travail au professeur je tremblais de peur car j'étais sûr et certain que ma fraude serait découverte immédiatement. Rien de semblable. Je fus reçu et un des premiers. Vraiment la science était toujours gentille pour moi ï En dehors de cette composition si réussie je conquis les sympathies du jury en leur récitant le poème de LermontowBorodino d'après toutes les régies et usages de la vieille école déclamatoire en rugissant et faisant des gestes éloquents. Le jury trouva cela très bien, mais mes camarades se moquaient de moi après, quoique je crus apercevoir qu'ils écoutaient ma déclamation avec beaucoup d'intérêt. Mon père me dit après les examens : — Eh bien T maintenant que tu as terminé tes études, il faut te mettre au travail. Tu ne penses qu'au théâtre et aux romans... Il faut en finir avec cela. Et le lendemain lorsqu'il était de nouveau saoul il m'attirait près de lui et en me tapant plusieurs fois sur la tête avec son index il me répéta lentement. — C'est un dwornik que je ferai de toi. Entends-tu : un dwornik î Rien de plus !... Un jour il m'annonça : — Je t'ai fait entrer au Mont-depiété ÎAu début tu ne toucheras rien... On verra après. Donc me voilà derrière un guichet du Mont-de-piété. De neuf [à quatre, des gens maussades apportent des bagues, des fourrures, des montres ; l'emplojé établit un prix ; on entend des jurons, des larmes, quelqu'un supplie d'augmenter un peu la somme en invoquant la maladie des parents, la mort d'un enfant... et moi j'écris les quittances en songeant tout le temps au théâtre. Dans mes oreilles bourdonnent sans cesse les jolies mélodies de « Faust... » Siebel, Marguerite. . . Après avoir travaillé deux mois sans aucune rétribution on me désigna comme appointements huit roubles par mois. Je détestais mon emploi mais j'étais fier de pou voir gagner de l'argent et venir ainsi en aide à ma mère. Durant la saison d'été il y avait une troupe d'opérette dans le jardin public. Naturellement, j'étais parmi les spectateurs les plus assidus. Les comédiens m'inspiraient la plus vive curiosité. Mais je ne sais pourquoi j'avais peur de les approcher et je me contentais de les observer de loin en me cachant dans des coins obscurs, parmi les arbres. Je les regardais et je me disais : Quels gens extraordinaires ! Il y a un moment c'étaient des dieux, des grands capitaines, et maintenant les voici vêtus comme tout le monde devant leurs bocks I Tous ces Achilles, calchas, barons, tziganes et gouverneurs de provinces me paraissaient également gais et de bonne humeur toujours, en scène ainsi que dans leur vie privée. On n entendait tout le temps que des rires et des plaisanteries. Quelle vie amusante et facile devait être la leur T Et moi qui était cloué à mon guichet de mont -de -piété d'où on n'entend qu'imprécations, jurons, sanglots, malédictions D'ailleurs, au Faubourg des Draperies, c'était absolument la même. Je quittai bientôt le Mont-de-piété. Je ne me rappelle pas exactement pour quelle raison mais sûrement cet événement avait un rapport étroit avec ma passion pour le théâtre. (A suivre) L. Valter, trad.