Cinéa (1921)

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0 cinea font de la peine avec leur respiration épuisée. Le Président de la République inaugure trop de premières pierres, clame trop de discours, embrasse trop d'honorables fonctionnaires pétrifiés d'humilité. Je ne peux certes pas vous empêcher d'assimiler ces petits faits-divers à la parodique exagération des revues de café-concert. Vous me direz qu'il n'y a pas de couplets au cinéma. Il y a La Marche funèbre de Chopin et la Madelon de la Victoire, et c'est très suffisant. Cependant à côté de cela.il y a des merveilles. Il y a ces petits films de quelques minutes qu'on appelle des documentaires. Pensez, par exemple, au plaisir d'art, disons-le, que vous ont causé des visions de fleurs, d'animaux, d'usines même notées par le cinéma. Des essais de couleur ont grandi l'intérêt de certains aperçus botaniques. On n'estpas arrivé encore à des résultats précis, mais si vous songez que les peintres triturent la couleur depuis trois ou quatre mille ans et cherchent encore les secrets du prisme, vous accorderez quelque indulgence aux badigeonneurs de plantes photographiées, vous savez, ces lys géants ou ces roses mastodontes qui éclosent devant nous en trente secondes comme un feu d'artifice brutal et parfois comme le vol des jupes multicolores de la Loïe Fuller. Ces petites folies représentent tout de même un large champ d'étude. Avouez aussi que lorsqu'on vous a montré la vie, les mœurs, la mort d'insectes extravagants, de pachydermes compacts, d'animaux de basse-cour, vous avez été souvent étonnés, comme si vous les voyiez pour la première fois. Des phénomènes de muséum ou de jardins zoologiques vous ont stupéfié. Les créatures domestiques vous ont bouleversé plus d'une fois. L'écran vous a souligné le caractère, le style, la ligne de bêtes familières. Un chat, un âne, un chien, un ours, un serpent se révèlent pour ainsi dire synthétisés au cinéma. Et que dire de ce que leur ajoute cette invention extraordinaire du ralentisseur ? Vous avez vu, en riant parfois, et parfois aussi avec je ne sais quelle émotion, cette décomposition du rythme musculaire d'un cheval qui saute, d'une biche qui fuit, d'un oiseau qui se pose. Les hommes ont dans cette analyse d'ima ges une grâce que nous ne leur soupçonnions pas. L'exemple le plus merveilleux est celui du plongeur dont les élans, la coupe, le mouvement, pris au ralenti, réalisent une suite incomparable d'attitudes enveloppées d'une écume légère et solennelle comme une neige interminable. Les essais dont le seul poète est un opérateur photographe ont souvent une étrange valeur picturale. L'artisan qui les compose est un créateur dans le genre des sculpteurs anonymes qui œuvraient les temples anciens ou les cathédrales du moyenâge. Ils ne songent qu'à tirer une forme de la matière. C'est ainsi que l'ouvrier trouve le chemin de l'art. Le domaine documentaire du cinéma est infini. Je regrette qu'on en use aussi mal. Que de fois, un commencement de programme vous promène au soleil d horizons lointains, L'Egypte, la Chine, la Patagonie, le Pôle, il n'est pas un point géographique qui n'ait reçu la visite de l'appareil de prise de vues. Pourquoi ces voyages éblouissants ne durentils jamais plus de dix minutes? Je n'en sais rien Je l'ai demandé aux directeurs de cinéma, ils m'ont assuré que le public ne pouvait supporter qu'une comédie ou un drame et que si on vous conviait à voyager une heure en Espagne, au Japon ou au Pérou, vous vous enfuiriez. Le succès que l'on a fait à des films comme L'Expédition Shackleton ou La vie sons-marine des frères Williainson m'empêche de croire ces affirmations, Je persiste à penser que vous consentirez â voir des gens et des choses que vous ne connaissez pas même si Judex et Monte-Cristo ne sont pas du voyage. L'appareil cinématographique a d ailleurs voyagé partout. Vous souvient-il d'une certaine « odyssée d'un transport convoyé par des torpilleurs » qui parut il y a quelque trois ans. On y voyait une tempête désordonnée, notée avec une précision aussi artiste que les tempêtes admirables des livres de Joseph Conrad : Le typhon ou Le Nègre du NarcisseMais la littérature n'y était pour rien et personne même n'eut envie de dire que c'était presque aussi bien qu'au Châtelet. Comme j'aimerais qu'un apprenti metteur en scène commençât toujours par ce travail en marge! Voir, disent-ils, tout est là. Oui, mais apprendre à voir, voilà le grand secret. Et voilà le grand appoint des modestes ouvriers de l'écran, les opérateurs. Certainement, le cinéma part de la nature, comme tous les arts, il doit interpréter la nature et la styliser et la recréer sous un angle visuel nouveau. La grande erreur des Italiens et de beaucoup de Français fut de vouloir faire collaborer à leurs œuvres la nature toute entière sous forme de paysages. Vous avez vu et, je le crains bien, vous verrez encore les brunes héroïnes aux yeux pâmés qui couchées à midi et en robe du soir sur une terrasse florentine contemplent avec de puissants soupirs l'horizon lumineux des collines italiennes. Oh T ce n'est pas tellement désagréable à regarder. Et il arrive qu'on applaudit. Mais quand vous recevez une belle carte postale de Naples ou de Taormine, vous êtes enchantés aussi, et vous admirez, vous savourez, vous dégustez le paysage si tentant. Avouez cependant que la carte postale en question a bien des chances de finir au panier. Un pa\sage de Corot, de Courbet, de Claude Monet ne finira pas au panier. Vous me direz que la carte postale vaut quinze centimes et que la toile est négociable à cinquante mille, voire à cent mille francs. Mais à supposer que votre goût personnel n'estime pas à cent mille francs un tableau dont les frais de toile, couleur et cadre ne dépassent pas positivement trois ou quatre louis, c'est le vœu d'une majorité, ou plutôt d'une minorité supérieure qui a transformé ces quatre louis de toile et de couleurs en monument de cent mille francs. L'art s'est imposé. Le pa3rsage de la carte postale est peut-être le même que celui du peintre. Mais celui du peintre a un sens. Ce n'est pas de la photographie. Et le cinéma n'est pas de la photographie. Le cinéma est de la peinture animée. Il est curieux que cette distinction ne nous vienne pas, à proprement parler des artistes du cinéma, mais de ses ouvriers, et que ce soit vraiment les photographes qui nous ont appris à être peintres. C'est curieux, mais reconnaissez-le, bien simple. Avoir commencé par de grandes œuvres est la preuve d'une inconscience aimable. Les premiers hommes qui ont soufflé dans une corne d'auroch ou tapé sur une casserole primitive ne peuvent passer pour de véritables compositeurs. La symphonie est née plus tard. Louis Delluc.