Cinéa (1922)

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cinea LE PEINTRE \ A U CINÉMA \ Un bon tableau devrait être avant tout photogénique puisqu'il est destiné un jour ou l'autre à être reproduit. Les peintres aiment conserver un cliché des œuvres qu'ils ont vendues. Mais que de surprises réserve l'œil mécanique, juge impitoyable! L'épaisseur de la pâte, le coup de pinceau, la luisance du vernis se traduisent d'étrange façon malgré les écrans spéciaux et il faut recourir à l'adresse truqueuse du retoucheur. Le cinéiste ne bénéficie pas de ce recours suprême. Il n'a pas le droit de se tromper et doit au premier regard, sur l'objet qu'il va filmer, abstraire de l'élément couleur sa valeur photogénique. Pour lui les cerises sont toujours noires et les citrons blancs. Dès lors, à quoi bon réaliser en rouge la maquette de la salle de marbre rouge, en vert le tapis de baccarat? Ce scrupule est d'un primitivisme puéril. Aussi bien que le peintre qui souvent fait des cerises bleues et des citrons violets lorsque la nécessité harmonique du tableau l'y oblige, le cinéiste pourrait abaisser ou rehausser d'un demi-ton la sonorité d'un gris dont la valeur nuit à l'ensemble de la vision cinématique. Il s'agit naturellement du travail au studio. Caligari est peut-être le seul film où la question ait été posée mais non résolue, car ses décors expressionnistes manquent d'équilibre et de matière. Le contraste des valeurs photogéniques artificielles et leur disposition modifiable suivant l'éclairage y ont été attentivement étudiés. C'est un essai encore incertain, d'une technique dont les metteurs en scène français, américains et même suédois ont jusqu'ici méconnu l'importance. Le cinéma doit être avant tout un art plastique, l'art plastique par excellence. Lorsque sa technique aura suffisamment évolué en ce sens, il sera temps de composer des scénarios intéressants. Aujourd'hui c'est un luxe à la Des Esseintes. 11 est surprenant île constater combien peu de metteurs en scène se préoccupent de renforcer le relief psychologique et plastique de leurs interprètes. N'importe quel veston cintré, n'importe quelle robe des Galeries font l'affaire au mépris de la loi élémentaire des contrastes qui a plus d'importance encore à l'écran qu'au théâtre. Le metteur en scène d'un film dit « artistique » s'imagine avoir fait un gros effort parce qu'il a commandé une robe à Poiret, ou fait dessiner ?'. wa«,K^ Charles DUI.LIN ient d'inaugurer remarquahl ses spectacles de l'Atelier. ses maquettes par un peintre qui ignore généralement tout du cinéma. Il faut apporter ici l'expérience d'un calicot. La valeur photogénique d'une étoffe varie suivant la trame, l'épaisseur, le grain du tissu bien plus que suivant sa couleur tinctoriale Le costumier de cinéma doit travailler avec des échantillons et un appareil photographique. Les costumes de cinéma devraient être aux costumes de la vie courante ce qu'est le maquillage du studio par rapport au visage dévaseliné : un camouflage destiné à accentuer, à solidifier les apparences jusqu'à la plus violente réalité. Ni veston cintré de gigolo, ni blouse en linon des Galeries, ni robe lamée de Poiret mais transposition, schématisation essentielle et presque parodique du veston cin-l tré, de la blouse des Galeries, de lai robe de Poiret Il faut habiller l'héroïne blonde etl brune de dix costumes en une mi-l nute, toujours semblables et cepen-l dant divers comme son visage, reflet! de petite âme Frégoli. La robe blanche! de la jeune fille s'assombrit dès le! premier émoi car toute la vie val l'accabler de tonalités de gris ascen-j dantes jusqu'au noir du veuvage! éternel. Un pyjama de velours subti-j lement dégradé au vaporisateur] donne au poète la transparence d'uni fantôme sans surimpression coû-j teuse. Le sein de la femme fatale et sa jambe excitante s'extériorisent nerveusement hors du satin de sa robe trop correcte. Le front de l'homme d'affaires sue des chiffres parmi les employés qui portent leur nom imprimé sur le ventre en grosses lettres pour qu'on les reconnaisse facilement... Il n'y a là que des possibilités réalisables, avec un peu d'ingéniosité cinégraphique et moins ruineuses que les absurdes reconstitutions historiques qui sévissent plus que jamais avec leur cortège de défroques Louis XV (?) ou persanes (?) à faire pleurer Madame de Chabrillan. Les esthéticiens se sont récemment mis d'accord pour condamner le film autochrome qui, intéressant au point de vue documentaire, s'écarte trop de la nature en la serrant de trop prés. Il y a une résurrection à tenter du vieux film colorié à la main, tou-: chant comme une enluminure avec ses teintes conventionnelles et ses bavures maladroites. Idylles idiote» dans des paysages de cartes postales. Arroseurs arrosés. Mariages américains. Pourquoi pas une série de films style tourlourou et bonne d'enfant, parodie raisonnée et spirituelle de ce que fut le cinéma, assez riche déjà pour railler sa jeune pauvreté? Cette esthétique du mauvais goût réhabilité est un équilibre sur la corde raide car, à force de crier au loup, personne n'accourt lorsqu'il vous dévore. Mais il serait amusant de voir se manifester au cinéma ce besoin sadique de laideur volontairement consentie, en qui nous retrouvons purifiée la beauté dont le joli nous avait donné la nausée. Jean Francis Laglenne.