Cinéa (1922)

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10 cinéa | Ce que Maurice Tourneur a dit à "Cinéa" Je ne vous cacherai pas qu'après ma première conversation avec Maurice Tourneur, je n'avais plus aucun espoir d'obtenir du grand metteur en scène une déclaration, si petite futelle, concernant son opinion sur les questions cinégraphiques actuelles. Maurice Tourneur est un sage et un èrudit. Il vit en solitaire, avec ses deux grands chiens, dans une propriété immense. On ne le trouve que chez lui ou au studio. L'esprit continuellement préoccupé par ce qu'il pourra faire de nouveau dans son prochain film, il évite le plus possible de parler métier et surtout de luimême. Lors de ma première visite il me reçut le plus aimablement du monde dans sa bibliothèque. Le nombre imposant d'auteurs russes qui figurent parmi les ouvrages qui ornent la bibliothèque de Maurice Tourneur me frappa tout d'abord. — «J'adore, — me dit-il, — l'œuvre russe, mais voyez vous-même les ouvrages français et étrangers ne manquent pas non plus 1 », et d'un geste de la main il me montra quelques centaines de livres où les noms de tous nos classiques et contemporains figuraient. Nous parlâmes longtemps de la France, de Paris, des auteurs nouveaux, de littérature et un peu de cinéma. Maurice Tourneur resta muet, quant à sa production. Mais il me dit qu'il serait toujours disposé à répondre à toutes les questions que lui poseraient les personnalités cinégraphiques françaises et que ces mêmes personnalités devront toujours compter sur lui quand elles se rendront en Californie — « Toutes mes connaissances et le peu de pouvoir que je peux exercer ici sont à leur entière disposition », me dit encore Maurice Tourneur. Un matin vers les sept heures, Maurice Tourneur vint me chercher. « Venez-vous pour quelques jours au Mexique, — me dit-il, — je vais chercher des bons coins pour ma prochaine bande î » J'acquiesçai avec enthousiasme à cette proposition charmante, et quelques minutes après VOld Timer, l'auto favorite du maître nous emmenait rapidement vers le Mexique. Je m'en voudrais de ne pas vous déclarer que cette longue randonnée ne fut pas exempte pour nous d'aventures assez compliquées, mais lorsque je revins la semaine suivante, après que nous nous fûmes la nuit égarés dans le désert mexicain à quelques dizaines de milles de tout être humain, après que nous eûmes franchi non sans encombre les rangs des partisans en pleine révolution et ceux des soldats guerroyant, car la révolution avait éclaté d'une façon terrible durant notre séjour au Mexique et elle dure encore à l'heure actuelle, enfin après multiples incidents, je tenais mon papier. Quelques notes sténographiques hâtivement jetées durant nos haltes, me permettent enfin de vous donner les opinions précises de Maurice Tourneur qui est actuellement considéré comme l'un des plus grands metteurs en scène des États-Unis. Nous avions franchi 35 milles depuis Tia-Juana et le Old Timer se trouvait en assez mauvaise posture devant un débris de pont chancelant. La nuit était encore profonde et l'on entendait au loin le cri rauque des coyottes chassantlespetits animaux du désert. Par intervalles, le crissement particulier des écailles du serpent à sonnettes résonnait, très proche. Décidant pour franchir la rivière d'attendre le jour nous étendîmes une couverture à terre, Maurice Tourneur alluma une mince cigarette, nous bûmes un gobelet de whisky (c'était au Mexique) et le maître parla... Sans doute « l'obscure clarté qui tombait des étoiles... » l'influença-t-elle car il commença à me donner une opinion très catégorique sur sa façon de penser vis-à-vis des grands « stars » : « Mon maître et ami Antoine avait l'habitude de dire que « les étoiles étaient la mort des pièces ». Ce qui s'applique au théâtre convient au cinéma, aussitôt qu'une star obtient quelque succès elle exerce son influence sur la production. On la consulte pour le choix du scénario, elle refuse la présence autour d'elle d'autres actrices qui pourraient lui I porter ombrage. « Olga Pétrova, pour n'en citer I qu'une, avait dans son contrat une I clause curieuse. Elle n'acceptait de I présenter à L'œil cyclopéen du caméra i que le côté droit de son visage. Seuil son profil droit devait paraître à I l'écran, car elle était persuadée, à I tort d ailleurs, que l'autre côté ne la I montrait pas aussi à son avantage I I « On doit également soumettre à I l'approbation de la star, le metteur! en scène, elle a le contrôle du mon I tage de la bande et elle a le droit de I faire couper les scènes qui ne lui I conviendraient pas. Les éclairages! sont réglés pour elle sans qu'aucune I attention soit donnée au décor oui aux autre» interprètes. Comment! serait-il possible dans ces conditions I d'obtenir un résultat quelconque?! Une star ne trouverait une bande vrai-! ment bonne que si cette bande ! comportait exclusivement des close I up de sa figure. En vérité, il n'y a j pas de star dans la vie réelle, l'être I le plus inconnu peut à un moment! donné sortir de la masse et accom-l plir sans même s'en douter un acte I admirable, après lequel il retombe I pour toujours dans l'oubli. Quand I je vois une star annoncée dans une \ bande, je prévois fatalement ce qui 1 va arriver . Si c'est William Farnum, 4 il y aura une terrible bataille dans la 1 dernière partie du film et le troisième j rôle sera châtié comme il le mérite. I Si c'est Wallie Reid je sais qu'il ga1 gnera la course d'automobiles et que I son père Théodore Roberts, qui est I d'ailleurs un excellent acteur, fera 1 des grimaces derrière son dos pour | tâcher d'obtenir des effets comiques. | Pourquoi resterai-je assis sur mon 1 siège à voir le spectacle quand je ] sais â chaque scène, vingt minutes à l'avance ce qui va se passer?... » i Maurice Tourneur se leva pour! tourner les phares de 1 automobile qui, par leur lumière trop puissante hypnotisaient une pauvre chouette i centenaire perchée sur un arbuste, i Cependant les étoiles, comme frois | sées de ce que venait de me dire le I maître à leur sujet, disparaissaient I une à une... Au loin les premières i lueurs de l'aube.