Cinéa (1922)

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12 Conseils aux Scénaristes ! Un scénario comporte nécessairement une donnée, dos personnages, des situations. La donnée, le sujet, est un élément décevant; tour à tour, selon les œuvres, selon les auteurs, selon les théoriciens, on lui attribue une valeur décisive ou nulle. Entre les deux camps, je n'ose prendre parti. J'ai soutenu ici-même, contre M. Jean Epstein, l'importance du sujet; à dire vrai, la nouveauté de l'intrigue me paraît chose moins utile que l'existence, la réalité des personnages mis en scène. Pour faire vivre un personnage on peut utiliser, ou cumuler deux méthodes. Ou bien — c'est l'art d'un Tristan Bernard, d'un Sacha Guitry — procéder par l'analyse des détails, appliquée à des types courants, connus, dont le public ne reçoit généralement qu'une impression superficielle — de sorte qu'il est surpris d'y trouver plus de choses qu'il n'y en soupçonnait — ou bien s'attaquer à des types particuliers distingués des autres par leurs tares, leurs vices, leurs passions (M. Lenormand, M. Duhamel dans La Confession de Minuit fourniraient des exemples). La plupart des scénarios et des films avec eux meurent de ce que les personnages mis en scène ne sont pas vivants. Voulez-vous, pour juger le vôtre, un critérium certain? Etablissez une description, un résumé psychologique de chaque personnage, analogue à celui dont Beaumarchais accompagne Le Mariage de Figaro. C'est peut-être pour cette raison que les films, si riches en modalités d'expression, de D. W. Griffith, ont tant de mal à conquérir le public français. La banalité du film courant américain vient de la reproduction à milliers d'exemplaires de ces types conventionnels, dont Wallace Reid et Eugène O'Brien sont les plus beaux échantillons. En sens inverse, voyez les films suédois : avant même que les interprètes eussent commencé à lire le manuscrit, les héroïnes du Monastère de Sendomir, des Proscrits, le héros du Trésor d'Ame, avaient leurs physionomies propres. Tout ce qui précède serait aussi vrai d'une pièce ou d'un roman. Mais ces êtres, ces événements qui constituent le scénario aboutissent à des situations, et ici intervient l'esthétique propre du film. Le mot de « situation » est-il tout â fait juste? Etymologiquement, il ira'pliqueune idée destabilité, contradictoire avec l'exercice même de la peinture mouvante; il évoque ces finales d'opéra ou quatre chanteurs disposés deux à deux, se figent dans des attitudes de lampadaires. Les cinéastes italiens subissent trop souvent l'attraction de ces effets statiques, et leurs œuvres en souffrent. Soyons dynamiques; c'est à la mode, et disons geste au lieu de situation. L'apprenti cinéaste ne doit donc jamais oublier que son œuvre est seulement bonne à la condition de «e traduire par des gestes; d'autre part il est indispensable, pour ne pas limiter sa faculté d'expression, qu'il ignore le moins possible de ce que le geste peut exprimer : c'est l'éducation spéciale de l'écran. Celui qui veut l'acquérir doit d'abord regarder autour de lui, avec la préoccupation constante de rechercher le sentiment afférent à chaque mouvement, à chaque expression qu'il observe; s'efforcer, quand il suit un entretien, de n'entendre pas les mots. Le livre est la seconde source de l'enseignement. Il y a fort longtemps que les poètes, les romanciers, expriment, évoquent par des gestes ou des symboles visuels : il y aurait de quoi faire plusieurs scénarios, fort riches et abondants, dans la plus modeste bibliothèque classique. A condition de savoir lire : car j'ai souvent noté comme les adaptateurs semblaient négliger les passages les plus photogéniques de l'œuvre transposée. Naturellement, l'enseignement viendra aussi de l'écran, des œuvres des autres; ne comptez pas, apprentis scénaristes, y voir jamais les vôtres, et si par hasard elles y parviennent, vous cesserez de vous considérer comme des apprentis. L'enseignement de l'écran double; il est négatif surtout, propre à montrer ce qu'il ne faut pas faire. Si l'effet est réussi, il ne faut pas l'imiter; s'il est manqué, il faut l'entreprendre autrement. cinéa Et maintenant le scénario est terminé. Quel parti allez-vous en tirer? Le sage le relira lentement. Assis dans un fauteuil, fermant les yeux imaginant que quelque metteur en scène émérite, un Griffith, un L Herbier, un Fitzmauriee, vient de le réaliser, et qu'on projette les premières bandes. C'est une grande jouissance, très supérieure à celle que trouvent les auteurs de pièces et de romans à relire leurs œuvres; celles-ci, en effet parce qu'achevées, sont nécessairement imparfaites; le scénario laisse un large champ au Si cette dépense ne doit priver aucun membre de votre famille du nécessaire ou même du superflu, faites dactylographier votre scénario. De nombreuses jeunes filles sont sauvées de la prostitution, des veuves de guerre de la misère, grâce à l'heureuse illusion, conservée par certains auteurs, que les gens qui ne lisent pas les manuscrits liront les pages écrites à la machine. Ensuite vient un petit jeu, analogue à la pelote basque, qui consiste à adresser des exemplaires dudit scénario, à des éditeurs, critiques, journalistes, etc. Le fronton de ce jeu de pelote ne restitue pas toujours ce qu'on lui envoie; il arrive parfois que les destinataires perdent les timbres ou s'en servent pour une autre fin. (Est-ce à dire que votre film ne passera jamais? Tout arrive. Vous pouvez avoir la même manucure qu'une demi-mondaine en mal d'écran et qui, faute de notions précises sur l'endroit où se trouvent les scénarios, s'adressera à vous. Vous pouvez être propriétaire en mesure d'offrir un appartement vacant à un éditeur... Vous pouvez gagner un lot d'un million... Mais ici nous rentrons dans les hypothèses relativement plausibles). Au bout de quelques années, lorsque les multiples exemplaires, salis par les doigts des facteurs, de vos scénarios dédaignés, se seront entassés dans vos placards, le vote de la loi sur les loyers fera rentrer le déménagement dans les mœurs; vous serez obligé de chercher un appartement plus petit, de supprimer tout encombrement, le jeu de pelote prendra fin, faute de projectiles. Lionel Landry.