Cinéa (1922)

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12 cinéa I CALIGARISME j La Revanche du Théâtre j Je me Joutais bien, lorsque nous l'ut révélé le tria remarquable film île Robert \\ iene, que le l'on, pâlies yeux de qui nous étions censés voir le monde extérieur, n'était qu'un prétexte. M. Emile Vuillermoz, daoe un article — fort commenté ■ de Ciné-Magazine, l'auteur lui-même plus récemment, ont vendu la mèche et proclamé la valeur universelle de cette formule : « L'invention d'un récit d'aliéné, déclare M. Vuillermoz, n'est qu'un petit subterfuge prudent pour tenter sans risque l'essai d'une esthétique nouvelle. ». Au premier abord, on s'étonne. Car enfin, s'il nous a paru que le parti adopté par Robert Wiene réussissait si bien à donner l'idée du monde tel que peut le concevoir un fou, il semble illogique qu'il puisse être utilisé pour nous montrer la conception qu'en a un homme sensé. Je sais bien que je ne suis plus à la page, qu'il n'y a plus d hommes sensés; Freud et M. Lenormand ont passé par là ; nous sommes tous fous, d'une manière ou de l'autre; romans, pièces, films, ne doivent plus constituer que des chapitres de psychologie morbide. Encore faut-il admettre que nos folies sont diverses; il en est d'intellectuelles, d'auditives et factives; toutes ne sont pas forcément visuelles, et même visuelles, ne sont pas nécessairement cubistes (Çali(jari d'ailleurs ne ressortit pas au royaume du cube, mais plutôt à quelque univers conçu selon la géométrie de Riemann, et caractérisé par l'impossibilité de mener deux lignes parallèles. — En passant, il est curieux de noter l'influence qu'a exercée sur les arts la vulgarisation des nouvelles théories géométriques et mécaniques; il n'est dadaïste qui ne se réclame de la quatrième dimension, et le vertige de l'hyperespace est un haschich nouveau qui détraque les esthétiques). Quoi qu'il en soit, l'enthousiasme est extrême; M. Vuillermoz parle de Caligari, comme Théophile Gautier île Hernani; et mode de louange plus discret, mais non moins sincère — les cinéastes les plus en vue marquent leur approbation en imitant. Tous — ou presque tous (l'exception est pour Louis Delluc, et, considérée la date, il est remarquable que su Femme de nulle part soit exempte à ce point de caligarisme, alors que Griffith et L'Herbier ont succombé à la tentation; ce dernier a peut-être tort ; car les déformations optiques qu'il avait essayées dans El Dorado me paraissent plus conformes au génie du cinéma, et plus fécondes, du fait qu'elles comportent transition avec les vues non déformées). Et simplement parce qu'un tel procédé donne plus aisément à l'artiste l'illusion qu'il maîtrise la Nature. La Nature, vivante et réelle, s'impose. L'homme tente de s'y ajouter; encore faut-il que dans le total il figure pour quelque chose. La scène la plus pathétique ne gagnera rien à être tournée devant les chutes du Niagara. Un Sjostrom, un Griffith pourront évoquer les puissants paysages des Proscrits, la débâcle de glace de Waïf down East ; un cinéaste ordinaire fera bien d'être plus modeste (Que reste-t-il, dans l'Atlantide de ce qui n'est pas le désert?) Supprimons au contraire la nature, remplaçons-la par une image que nous déformons à notre gré, le cinéaste retrouve le moyen d'affirmer sa personnalité. Et c'est tellement économique T Einis, les coûteux voyages, les caravanes à la recherche d'un site, l'attente du soleil propice! Comme l'indique M. Vuillermoz « ...de la toile, du carton, des pinceaux et l'imagination créatrice, c'est tout ce qu'il faut pour construire un monde idéal beaucoup plus riche que le monde réel, un monde interprété, transposé, un univers intelligent et sensible qui pense, qui rêve et qui souffre comme les hommes qui l'habitent, une nature qui reflète, prolonge et magnifie les émotions des personnages... » Malheureusement pour de telles créations, l'imagination créatrice — c'est-à dire le génie — est aussi indispensable que la toile et les pinceaux. Malheureusement aussi, elle est beaucoup plus rare. Et elle n'a nullement besoin d'une formule nouvelle pour se manifester. En procédant, non pas par déformation plastique, mais parcomposition psychologique, elle peut arriver à des résultats tout aussi saisissants. Et dans ce dernier système, quand elle manque, on en est quitte pour voir des paysages qui en eux-mêmes n'ont rien d'offensant, tandis que l'expressionnisme manque!... Je sais bien que lorsque, demain ou après-demain, la confection se mettra à caligariser, M. Vuillermoz n'ira pas aux présentations voir les résultats. Moi qui irai, je souffre d'avance. Et cependant, en entendant cela, dans sa longue barbe blanche (car il est très vieux), le théâtre rit... « Vous y revenez aux décors, aux portants, aux toiles peintes! C'était bien la peine de faire le tour du monde, d'évoquer sur l'écran magique Tokio et Vancouver, le cap Nord et le cap Horn pour en arriver là! Vous êtes assagis maintenant, vous sollicitez mes conseils... Seulement abdiquez toute prétention et reprenez la place qui vous convient. Vous, un septième art! Sixième et demi, tout au plus. Lorsqu'il procédait de la photographie, qu'il vous utilisait le décor naturel, qui m'était interdit, qu'il disposait du monde entier comme cadre, le cinéma constituait i un art autonome. Replacé dans uni décor, réduit à montrer — sans couleur et sans voix — ce qui se joue sur une scène, devant une toile de fond réaliste ou symbolique, inspirée de Reinhardt, de Pitoeff, de Gordon Craig — ou de Jusseaume — quel élément propre comporte-t-il? C'est un procédé économique de reproduire une pantomime. . . « Vous croyez vous justifier en dénonçant l'erreur que commit Antoine lorsqu il tenta, au théâtre, des mises en scène réalistes. Que vous êtes donc restés hommes de théâtre! Interdire une formule à l'écran parce qu'elle est contraire à l'esthétique de la scène, c'est montrer qu'on ne voit : pas la distinction entre les deux arts. . Justement, parce que les Américains n'étaient pas hommes de théâtre, vivaient très près de la nature, ils | ont doté le cinéma d'une esthétique nouvelle : il est piquant de voir que la réaction contre ^ette esthétique vient de la théâtrale et insincère Allemagne et de cette France dont l'art, quelque riche et profond qu il soit, sent toujours le renfermé, art de salon, de cabaret ou de coulisse. « Qu'on laisse donc revenir à moi ceux qui sont en vérité mes petits enfants! Voici des décors à peindre, des scènes à composer au studio — comme sur le plateau. Lorsque le public sera las de voir la même chose des deux côtés de la rue, quelqu'un s'avisera que le cinéma, à la différence du théâtre, peut nous montrer de vrais arbres, de vraies cascades, de vraies fleurs, et présentera un film, conçu d'après ces idées nouvelles, et dont le succès éclatant entraînera les imitateurs. . » Comme tous les vieillards, le théâtre a tendance à parler longuement. Je n'écoutai pas plus avant... Lionel Landry.