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MUSIQUE a a
La question de L'accompagnement musical du cinéma préoccupe les esprits; elle a fait l'objet d'enquêtes peu concluantes en raison de la diversité des points de vue auxquels se sont placés les auteurs de réponses — et d'articles parmi lesquels nous citerons ceux, tort judicieux, de M. René Jeanne. Elle est redevenue actuelle depuis que, pour soutenir un film retentissant, un chef d'orchestre que l'on pouvait croire mieux inspiré a ressuscité le genre « bruits de scène ».
Sur l'action même de la musique des choses fort justes ont été dites par M. Bergson — si justes que je fus étonné, (n'entretenant avec lui de cette question, voici bientôt trente ans, de 1 entendre dire qu'il n'était pas musicien. Le passage des Données immédiates de la conscience auquel je fais allusion est connu; je le cite néanmoins :
i'.n se plaçant à ce point de nie, on s'apercevra, crogons-nous, que l'objet de l'art est d'endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l'idée qu'on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé— \insi en musique, le rgthme et la mesure sus/rendent la circulation normale de nos sentiments et île nos idées en faisant osciller notre attention entre des points fixes et s'emparent de nous avec une telle force que l'imitation, même infiniment discrète, d'une voix qui gémit suffit et nous remplir d'une tristesse extrême.
A rapprocher d'une remarque de M. Jean Epstein : La musique même dont on a l'habitude n'est qu'un surcroit d'anesthésie de ce qui n'est pas oculaire. Elle nous délivre de nos oreilles comme la pastille Valda nous délivre de notre palais. Mais la musique n'a pas que ce rôle négatif; comme l'indique l'analyse bergsonienne elle prépare, elle crée l'atmosphère.
Mais au prolit de qui? En général (1) cette prise de possession préalable des sens par l'effet du rythme annoncé met en valeur une mélodie. Au cinéma, cet accompagnement an
nonce une image. Si l'image et la mélodie arrivent en même temps, si le violon et l'écran se disputent notre attention, ils se nuisent. (Quand naguère, à Marivaux, s'y joignait le profil à la Burne Jones de la violoniste, que pouvait-on faire contre trois?)
Il faut donc le proclamer avec M. Jean Epstein :
l 'n orchestre de ciné ne doit pas prétendre à des effets. Qu'il fournisse un rgthme et de préférence monotone.
Le problême, musicalement n'est pas nouveau. Il est au moins deux genres de compositions où l'accompagnement annonce autre chose qu'une mélodie.
La musique de ballet a pour devoir de soutenir la danse (ce qui indique combien il y a erreur à porter sur la scène, à la russe, des œuvres symphoniques autonomes).
La musique de scène est destinée à envelopper une déclamation parlée; le genre est difficile, voisin de l'accompagnement du cinéma par le caractère hétérogène des deux moyens d'expression. Le chef-d'œuvre en est peut-être le Manfred de Schumann; L'évocation d'Astarté me paraît un bon modèle à imiter pour les musiciens de l'écran.
A dire vrai, les questions d'esthétique pure, les « règles du genre » n'ont été examinées qu'accessoirement. On a surtout discuté l'opportunité de faire composer pour chaque film une adaptation musicale spéciale.
La difficulté — dont personne n'a trouvé la solution — c'est que cinéaste et musicien poursuivent des objectifs différents. L'un travaille pour l'espace; il rêve d'être vu, huit jourstout au plus, dans chacune des villes de l'univers; l'autre pour le temps; il souhaite que sa partition, restreinte forcément à un nombre limité d'orchestres, soit reprise souvent et longtemps.
Entre ces deux désirs, l'union est impossible; le divorce inévitable; rien n'empêchera le compositeur de faire sortir sa musique de ces limbes où rentrent au bout de quelques semaines, les films les meilleurs.
La mort même de Séverin-Mars n'a
pu persuader des directeurs de reprendre La Dixième sgmphonie; mais l'accompagnement musical en a reparu ; on l'entend partout, à tout bout de champ, au point que lorsqu'on le réentendra avec le film il donnera l'impression de déjà connu qu'un accompagnement spécial est précisément destiné à éviter.
Et puis, entre nous, est-il utile de prêter une vie, une originalité artificielles à tant de cinédrames ou comédies médiocres, pauvres répétitions d'effets connus, en les enveloppant de belle musique? Et si c'est pour en créer de mauvaise, il y en a déjà tant : autant celle que l'on connaît!
Sans doute, il est séduisant de susciter une atmosphère rare et personnelle autour d'un film de valeur : mais est-ce indispensable? Je n'ai pas trouvé qu'ÊZ Dorado gagnât beaucoup à son accompagnement spécial; la musique de scène, composée pour la circonstance, de l'Atlantide drame, ne valait pas celle, adaptée, de l'Atlantide film. Qui se souvient de la manière dont étaie accompagnés les Quatre Diables ? Lors de la présentation de l'Inexorable, une partition bien choisie, mais qui ne comportait aucune révélation a suffi à créer l'atmosphère. En sens inverse, on n'a pas oublié l'improvisation dont M. Jean Wién entoura Fièvre; mais cette solution, à mon sentiment très désirable, de limprovisation est toute différente de celle de l'accompagnement spécial.
Cette dernière question est étroitement liée à celles des salles spécialisées du répertoire de l'écran, de la reprise des chefs-d'œuvre classiques, de l'éducation du public, etc. C'est dire que nous ne sommes pas prêt de la voir aboutir.
Lionel Landry.
(i) Plus généralement encore qu'on ne croit, et les œuvres les plus polyphoniques sont assujetties à cette esthétique de l'accompagnement. Dans un prélude de choral de Bach, c'est simplement par un raffinement d'art que l'accompagnement x-ythmique est fait des éléments, préi'ormés ou déformés, du chant dominateur.