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a AU PAYS DU FILM a
Souvenirs de Los Angeles par FERRI=PISANI
Los Angeles et la fièvre du cinéma. A l'arrêt d'une station perdue dans la Prairie, la malle du Pacifique avait pris une voyageuse solitaire. Elle était à peine installée prés de moi que, déjà, elle parlait avec cette abondance qui caractérise les personnes subjectives à l'excès.
— Monsieur, disait-elle, vous allez sans doute à Los Angeles? Moi aussi. Naturellement, vous voulez faire du cinéma, comme moi-même. Ahî les « peinture» mouvantes »I Etes-yous photogénique? On m'a assuré que j'ai tout pour réussir. Je veux faire ma carrière dans le film. J'ai quitté hier soir la petite ville de l'Illinois où j'étais couturière. Mais ce métier est obscur. Bientôt, je serai sur l'écran : alors, ce sera la gloire, la fortune. Qu'était Mary Pickford, jadis? Pas plus que moi. Elle a tourné plusieurs mois comme simple figurante. Je ne resterai pas longtemps extra, je vous l'affirme. Je nage, je monte a cheval, je fais de la boxe, je danse. Ma famille est contre mes projets, naturellement. Vous savez, il ne faut jamais regarder dans l'objectif: c'est une faute de débutant. J'ai toutes les adresses des studios. Je vous guiderai, si vous le désirez. Quel « type » pensezvous être? Moi, je jouerai les Nazimova, mais en plus jeune et avec beaucoup de sentiment. Cette assurance impressionnait mon fonds de naïveté. Comment douter de quelqu'une qui s'affirmait avec autant de précision. Elle connaissait les noms de tous les directeurs, les bilans de toutes les compagnies. Pendant des années, sans doute, elle avait suivi l'évolution du film, dans les vingt magazines spéciaux que l'Amérique publie sur le grand art. Depuis l'enfance, elle s'asseyait chaque soir devant l'écran de sa petite ville. Comme un astronome vit avec les étoiles, elle vivait avec Theda Bara, Pauline Frederick, Gloria Swaneon. Et avec tant de foi elle se
croyait leur émule, que je « la croyais » à mon tour. Et, par la même occasion, je commençais à « me croire» moi-même. Puisque j'allais à Los Angeles, pourquoi, moi aussi, n'aurais-je pas fait du cinéma? Le destin me mettait peut-être sur les traces d'une future étoile? Je fus aimable. J'imaginais qu'elle m'obtenait un rôle.
Quand, après six jours d'express, j'arrivais au pays du film, j'étais dans l'état dame d'un chercheur d'or débarquant en Alaska. Ma compagne de voyage s'était inscrite à l'hôtel Alexandria, le seul digne d'abriter une future étoile. Quand à moi, à peine avais-je eu le temps de prendre un bain dans la modeste pension où je logeais que, déjà, pompeusement parée, ma voisine du train venait m'inviter à la suivre. Elle était armée d'un plan détaillé de Los Angeles où de grandes croix bleues marquaient l'emplacement des studios, les uns dans les faubourgs, les autres, plus lointains, au pied des montagnes ; d'autres encore sur la route de la mer. Tous étaient bâtis dans des sites difficiles à atteindre, loin des voies de communication. 11 semblait que tous ces temples du grand art eussent voulu défendre leur accès contre un peuple de néophytes amateurs et redoutables.
Le véhicule électrique glissait dans la banlieue sacrée. Vous connaissez tous Hollywood pour l'avoir vu dans ces fonds de décor de film américain : des villas riantes où grimpent des glycines, des jardins où les oranges mettent une tache rouge, des avenues spacieuses bordées de poivriers géants ou d'eucalvptus,des angles de rues où veille un palmier mégalomane, et partout des fleurs, de la verdure, des oiseaux sous le ciel bleu. Mais déjà, derrière une haie de rosiers, l'américanisme reparaît : une gigantesque serre en verre reflète, en feux de diamant, le soleil.
— Le Bruntonl me dit l'étoile. Le siège des compagnies indépendantes : Mary Pickford, Jack Pickford, Haya
kawa, Frank Keenan, Douglas Fairbanks tournent ici... Ai-je la figure luisante?
Elle se poudra, rougit ses lèvres, releva ses cils. A l'entrée du studio, on pouvait lire ces mots : Casting director.Please.kept away...Ce qui peut se traduire par : Directeur des engagements. On n'entre pas. Dans la porte, une ouverture permettait de passer la tête. Des gens défilaient, de tous les âges, de toutes les esthétiques, des jeunes filles, des femmes mûres, avec des enfants qu'elles soulevaient jusqu'à la hauteur du guichet. A l'intérieur, une voix saluait chaque nouvelle apparition d'un Nothing doing T monotone (Rien à faire!) Ma compagne reçut la réponse en tremblant d'indignation.
— Venez! Cet homme est fou! me dit-elle.
J'allais m'éloigner, quand je fus interpellé par un individu à qui j'avais cédé mon tour respectueusement, par égard pour ses bottes armées d'éperons et son chapeau à larges bords.
— Mais tu es Français, toil
Je crus devoir imiter ce tutoiement immédiat, de rigueur dans les hôpitaux, les asiles de nuit et les prisons.
— Eh bien! mon vieux, je te prenais pour un cow-boy.
— Je joue les cow-boys quand il n'y a pas besoin de monter à cheval.
— Le cavalier à pied, alors?
— Tu l'as dit, poteau!
L'homme portait une barbiche inculte, n'avait pas d'âge et sentait le whisky :
— 11 y a dix ans que je suis par ici. C'était meilleur autrefois, mais aujourd'hui, il y a trop de concurrence. Ils veulent tous faire du ciné. Je suis du Beaujolais. Il y a quarante ans que je n'ai pas goûté le vin du pays. J'ai fait tous les métiers. J'étais valet de chambre chez un roi! Chez Kalikao, celui qu'on appelait le Napoléon du Pacifique, le dernier souverain des îles rlawaï. Ah ! le beau temps, les danses des femmes canaques au