Cinéa (1922)

0 AU PAYS DU FILM Souvenirs de Los Angeles (Suite) par FERRI=PISANI Je n'ai jamais été plus triste que le jour où je pénétrai dans le studio de Charlie Chaplin. J'allais y tourner un bout de rôle avec un figurant qui me dit : — On m'a baptisé Pompon, parce que je dis « pompon » entre chaque phrase... 11 faut avoir une originalité pour réussir... pompon... En prononçant « pompon » mon double râtelier se décroche automatiquement et projette mon bouc en avant.. . pompon... Avez-vous rien vu de plus drôle? Nous allons composer tous deux une scène qui ferait rire un mort!... Le directeur nous explique : — Vous êtes deux hommes de loi, deux notaires qui venez apprendre à Chariot qu'il a fait un héritage. Vous arrivez dans la calèche qui est là-bas, au tournant. Devant la porte, la voiture s'arrête. Cet homme (le directeur désigne un troisième personnage) est le valet. Il vous revoit. Vous descendez naturellement et vous marcherez vers M. Chaplin, qui sera là, sur le pas de la porte. C'est tout. Allez et ne sortez pas du champ de l'objectif. L'épisode est simple, mais Pompon a des idées d'embellissement : — C'est l'occasion de notre vie. . pompon... Pensez-vous que nous descendrons naturellement?... Non pasl Nous enfoncerons nos melons l'un sur l'autre sur le crâne du valet ébahi... pompon... Et j'enlève ma pipe de ma bouche pour la coller dans la sienne déjà ouverte par la stupéfaction... Et les gestes s'accomplirent comme nous avions décidé. « Le photographe rigole ! C'est la gloire ! » me souille Pompon, tandis que nous avançons vers Chariot qui nous attend sur le pas de la porte, canne en main, ses godillots Immortels aux pieds. Nous nous inclinons. C'est la lin de l'épisode Stop I crie le metteur en scène. Nous attendons des félicitations, mais la voix directoriale glapil Dites donc les deux notaires, ètes-vous devenus tous ? La manie des grandeurs, alors? J'ai dit : Descendez naturellement I Reprenez votre pipe, vous, l'homme à la barbiche, et ne la mettez plus dans la bouche des autres pour leur passer des maladies contagieuses ! Allez, recommencez î Et vite ! Nous n'avons pas de temps à perdre ! Nous recommençons la scène, sans fantaisie, cette fois, mais pleins d'amertume. Le soir, en regagnant Los Angeles, Pompon médisait : — Partout, c'est la même chose... pompon... chez Dudule, chez l'atty, chez Larry Simon, chez Chariot, la vedette veut tout l'écran pour elle... pompon Mon bouc est autrement ri«ible que la moustache de Chaplin!... pompon... Ils le savent et ils veulent étouffer mon talent... pompon. . Mais ça ne lui a pas porté chance au « grand comique »... pompon... ht je souhaite qu'il lui arrive chaque semaine une « sale histoire » comme celle de son mariage Voici la sale histoire : Il y avait une fois un « grand comique » qui n'était pas marié et qui était très riche. Il y avait une,, petite figurante » qui était très pauvre et qui avait une mère très ambitieuse. « Ma fille épousera le grand comique ! », disait elle. Mais « le grand comique » était très difficile à approcher parce qu'il BC méfiait de tout le monde. 11 vivait seul. Inabordable. Mais la mère de la « petite figurante avait du génie In beau matin, le « grand comique », qui ne boit jamais, se réveilla avec un terrible mal aux cheveux dans un hôtel d'Hollywood. Il ne se rappelait de rien, mais « Mme Mère » parut tlanquée de ileux détectives et lui apprit qu'il devait au plus tôt épouser la •< petite figurante » In instant il son] mais set a\ OCatS eux-mêmes lui déconseillèrent un procès qui pouvait ruiner sa popularité I.! foule Yankee ne badine pas avec les