Cinéa (1922)

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16 clnéa AU PAYS DU FILM Souvenirs de Los Angeles (Suite) par FERRI=PISANI Un film russe Après six mois d'efforts au pays du film, je n'avais point encore réussi à sortir de la foule des extras. Et encore la première elasse des figurants, les Quarante, me restait-elle obstinément fermée. Les Quarante sont à la figuration de Los Angeles ce que les Quatre Cents sont au monde de New-York. Mais tandis que les Quatre Cents sont les plus riehes d'une ploutocratie américaine, les Quarante sont les plus pauvres d'une aristocratie européenne. Et quelle aristocratie ! Princes russes, marquis italiens, comtes français, barons allemands aussi, tous plus héraldiques les uns que les autres, blasonnés sur toutes les coutures... et fauchés comme les blés. Ne riez pas ! Ces nouveaux pauvres, qui, après d'invraisemblables avatars, victimes du jeu, de la boisson, de L'amour, de la démocratie ou simplement de la guigne, ont dû quitter leurs châteaux en ruines pour émigrerau pays du film y ont transporté avec eux une imposante tradition : ils sont les derniers représentants d'un âge où chacun restait à sa place. La société humaine offre un palpitant intérêt psychologique, quand elle est observée à travers le verre grossissant de ses castes extrêmes : l'asile de nuit ou bien seize quartiers de noblesse. Tout le reste est conventionnel.. In jour, comme le ciistiiifj directov du Goldwyn m'avait évincé pour la trentième fois, avec un décourageant mothing doing ! je me hasardai à lui demander les raisons de ma défaveur dans son studio : Pourquoi donc ne m'employezvous jamais dans les épisodes mondains? J'ai pourtant un habit bien coupé ? — C'est possible, me répondit sèchement le directeur, mais pour figurer dans ces scènes à 10 dollars par jour, il faut avoir un titre ! (sic) Lue heure plus tard, j'étais dans les bureaux de la Caméra, et le dimanche suivant contre une mo dique rétribution, l'hebdomadaire cinégraphique annonçait aux studios de Los Angeles qu'un quarante et unième aristocrate ruiné et authentique était venu s'adjoindre aux quarante déjà existants. Sous une photo de moi, mon nom s'étalait, mais agrandi d'un titre et d'une particule. La feuille encore humide était à peine sortie des presses qu'un coup de téléphone m'appelait au Goldwyn. — Mon cher comte, me dit un directeur soudain transformé, ce soir nous tournons l'Opéra de Saint-Pé tersbourg avec Géraldine Farrar et Lou Telegen. Vous serez dans la loge diplomatique. Je fus dans la loge diplomatique en compagnie d'un prince russe que les bolcheviks avaient réduit à la figuration. Il y avait là encore un marquis vénitien et un baronnet anglais. A ma droite se tenait un petit vieillard chamarré de décorations : c'était un margrave dalmate, qui commençait invariablement tous ses récits par cette phrase : « Quand j'étais chambellan de S. M. François-Joseph.» A ma gauche, avait pris place le propre cousin de llindenburg, ce comte von S... à qui son passé de capitaine dans les uhlans valait l'honneur et le profit de toujours commander les charges cinématographiques, dans les épisodes de guerre au pays du film. De notre loge, nous découvrions l'ensemble de la salle, garnie de 1.200 extras en habit noir et robe de bal. La reconstitution de l'Opéra de Saint-Pétersbourg était frappante : dans l'avantscène impériale, le tsar et la tsarine: Lou Telegen, dans la vie le mari de Géraldine Farrar et dans le film son fiancé, exhibait dans la loge des grands-ducsun merveilleux uniforme de chevalier-garde : il avait pour aide-de-camp B... prince roumain et ex-officier français, qui, au lendemain de la guerre, était venu tourner avec talent les jeunes premiers dans le ciné américain ; Géraldine Farrar, qui avait conservé dans le scénario son rôle réel d'étoile d'opéra, chantait Lohengrin sur la scène. Quand le rideau fut tombé sur... le deuxième acte, le mégaphone du directeur désigna le comte von S..., le margrave et moi-même pour aller, sous l'œil de l'objectif, présenter nos félicitations diplomatiques à la cantatrice. Comme nous gagnions la loge où la vedette allait recevoir nos aristocratiques hommages, le comte von S... me dit : — Avant la guerre et son mariage avec Telegen, j'ai connu Géraldine Farrar à Berlin, chez le kronprinz. Vous savez que celui-ci était très amoureux d'elle. Il a fallu l'intervention du kaiser pour empêcher que notre prince hériter n'épousât l'actrice américaine. Quand les EtatsUnis sont entrés dans le conflit mondial, on a tenu, ici, quelque rigueur à Géraldine de sa liaison avec le kronprinz... Mais déjà le directeur nous commande : s< Vous passerez rapidement devant Mme Farrar î » Lumière T Action T Caméra T Le margrave s'est incliné le premier. C'est le tour du comte von S... Mais la cantatrice l'a reconnu. J'entends la voix du cousin d'Hindenburg : « (lenadige Frau... Potsdam... Der liebe Kronprinz... » L'ancien officier des uhlans s'attarde auprès de l'ancienne épouse morganatique de son maître et, repris par les souvenirs, tous deux oublient et le régisseur, et le scénario, et Los Angeles, et le studio de Goldwyn : ils sont là-bas, en Allemagne, en 1914. (A suivre). Fkrri-Pisam.