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AU PAYS DU FILM
Souvenirs de Los Angeles (Suite) par FERRI=PISANI
En Amérique, la première référence exigée d'un candidat à un rôle, c'est qu'il représente exactement à la ville le type du personnage à jouer sur la scène. Le traître sera né avec la face du traître ; l'obèse sera obèse sans l'addition de tampons d'ouate ; défendu l'usage de ces perruques qui rajeunissent ou vieillissent à volonté; un personnage de cent ans ne sera joué que par un centenaire ; la moustache exigée par le rôle aristocratique sera naturelle et la calvitie de même ; sous le feu des rampes newyorkaises, un vrai Français incarnera le» Français ; un vrai Chinois les Chinois ; c'est tout juste si l'on permettra à l'ivrogne de la comédie de mettre clandestinement de l'eau dans son whisky durant la scène d'alcoolisme.
Cette observance de la loi des types, discutable tant qu'il s'agit du théâtre, ne sera jamais trop rigoureuse dans le cinéma, où le premier plan dénoncera toujoursla fausse barbe la mieux appliquée, le camouflage le plus habile. Si Ion me confiait sur l'écran le rôle du « vilain », c'est que j'étais le « vilain » dans la rue. Il me fallait en prendre mon parti et accepter à l'avance toutes les morts exemplaires qu'entraînait mon type antipathique. J'allais être tour à tour fusillé par le peloton d'exécution, pendu, guillotiné, placé sur la chaise électrique. Une fois même supprimé selon une loi proposée à l'époque et votée tout dernièrement dans un Etat de l'Ouest, je fus exécuté au moyen du chloroforme, durant un sommeil supposé, sur le lit de ma cellule.
Tous ces châtiments subis dans le truquage des studios me divertirent jusqu'au jour où la convention du film se prolongea soudain dans la réalité de ma vie.
Un directeur cinégraphique, en mal de publicité, venait d'exploiter les plus bas instincts de la foule en lui présentant une histoire de banditisme où un bandit redoutable, à l'expiration de son temps, tenait la place
de vedette. Avec la Dame de la cave, l'authentique malfaiteur Al Jennings passa directement des travaux forcés à la gloire de l'écran. Par malheur, le succès de cette honteuse production avait enrichi le producteur. Du jour au lendemain, les assassins, les voleurs, les faussaires, pour peu que leurs méfaits aient eu quelque reten
ELS1E FERGUSON
reparaît dans L' Animatrice
et L'Ange du Foyer.
tissement, se virent offrir des ponts d'or au sortir de prison. Dans un de ces films indésirables, je fus chargé de servir de complice à deux cambrioleurs fameux libérés de la veille. Les journaux de Los Angeles annoncèrent la reconstitution cinégraphique du plus hardi de leurs vols passés, et ce dans la bijouterie même qu'ils avaient dévalisée pour de bon dix ans auparavant. Et, pour rendre encore plus palpitante l'aventure, une perle noire de 100.000 dollars, célèbre dans tout l'Etat de Californie, devait figurer comme accessoire dans cet incroyable épisode. En France, on enfermerait comme fous les organisateurs d'une pareille proposition.
En Amérique, la municipalité prêtt sa police pour, en barrant les rues , faciliter la prise de la scène. Let fenêtres des maisons avoisinant la bijouterie furent mises aux enchères Les toits étaient noirs de curieux,
Enfin, après tous les préparatifc techniques, le cri : « Action I Caméra! » retentit. L'auto, qui contient lee deux convicts et moi-même, s'arrêtt net devant la boutique. Nous sautont de voiture et, revolver au poing nous abordons le boutiquier. Un pre mierplan de la fameuse perle. Aprèt l'étranglement simulé de son propriétaire et l'enlèvement réel du précieux bijou, les deux malfaiteurs regagnenl l'auto, tandis que je protège leur re traite contre la foule des honnête* gens ameutés. Le thème de l'épisodt voulait que la voiture nous emporta tous les trois, ou plutôt tous les quatre, car la perle noire avait le rôle le plus important dans l'histoire. Or. à mon étonnement, je vois mes deux convicts devancer le signal du départ et démarrer en troisième vitesse; en me laissant en plan sur le trottoir, en dépit du scénario convenu. Mais là où la stupéfaction m'empoigne, c'est quand je constate que l'auto, au lieu de stopper aussitôt hors du champ de l'objectif, continue â une allure vertigineuse et disparaît aux yeux de tous sur la route conduisant aux montagnes rocheuses.
Il fallait arrêter un coupable à toul prix. On m'arrêta, on me cuisina avec des procédés dignes de l'Inquisition espagnole. Certes, j'aurais pu faire part au juge d'instruction d'une conviction intime, â savoir que le bijoutier lui-même s'était fait voler volontairement par les deux convicts la perle noire invendable, parce que trop chère ou dépréciée par des défauts. Ce qui est certain, c'est que, quelques semaines plus tard, le propriétaire du célèbre bijou touchait joyeusement 100.000 dollars à la caisse d'une Compagnie d'assurances contre le vol. Mais j'eus risqué d'être accusé d égarer la justice, alors que, sincèrement, j'aurais pu l'éclairer. Je me tus. A la fin, on me relâcha. Naturellement, on n'a jamais retrouvé les deux convicts-artists. Jusqu'à la fini a de mon séjour à Los Angeles, je sentis peser une suspicion générale sur moi. Ma vie privée en souffrit, mais ma réputation de «vilain » sur l'écran s'en trouvait encore consolidée.
(As
ivre.)
Ferri-Pisam.