We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.
Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.
166
LA VEDETTE DU
Ciné-Miroir
“ PERROQUET VERT ”
ÉDITH JEHANNE
une fenêtre. Assise sur une
chaise, une petite fille affronte les feux convergents des projecteurs, une adorable petite fille, vêtue de bleu, avec une blouselte qui porte des ancres sur les bras et un grand col marin. Des boucles blondes cascadent sur ses épaules.
Un piano égrène des notes. Le metteur en scène, Jean Milva, jeune homme au visage grave, donne des ordres à mi-voix.
Tout à coup s'élèvent les accords mélodieux et si tristes de la Chanson de Sollveig, de Grieg. Et la petite fille relève lentement la tête. Ses yeux font le tour de la pièce.|
Oh! ces yeux! On ne voit plus qu'eux! Profonds et d'une merveil_ leuse lumière. Ils vous captivent l'âme et la tiennent en suspens. Un doux sourire. Encore un regard au doux scintillement d'étoile.
« Stop! »
Le premier plan est terminé. Et la petite fille blonde vient à nous : c'est Edith Jehanne. Une phrase charmante de bienvenue, et, tout de suite, sans que nous la questionnions, elle nous ouvre son cœur. L'art s'y trouve gravé. Edith Jehanne vibre, souffre, rit, est heure'sse dès qu’elle parle de cinéma.
— Et, nous dit-elle, j'avais débuté par une grosse déception. Je suis restée quatre ans sans fourner, avec mes illusions meurtries par un metleur en scène qui ne. m avait pas comprise.
—— Vous avez pourtant le don, celui qui ne s'acquiert pas à la longue, mais qui naît en même temps que l'être lui-même.
— Oui. Je suis artiste jusqu'à la plus petite de mes fibres.
— Comment le cinéma a-t-il reconquis celle qu'il avait failli perdre ?.
— Dupuy-Mazuel, qui avait écrit le Miracle des Loups, m'avait demandé quelques « plans » anonymes. Comme je devais, par la suite, tourner le Joueur d'échecs, du même auteur, j'acceptai, mais non sans une assez longue résistance. Je craignais de souffrir à nouveau.
— Et ce fut?
— Ce fut un succès. Je me donnai entièrement à ce qu'on me demanda et je sentis que mon intuition de jadis ne m'avait pas trompée. Le cinéma était bien ce que j'avais compris dès le premier abord, et non ce que l’on avait tenté de m'inculquer…
Pendant qu'Edith Jehanne parle, elle vit intensément. Tout s'irradie en elle. Une flamme intérieure, magnifique et totale, anime son visage. Et les yeux!... Toujours ces yeux que Von n'oublie jamais quand on les a vus une seule fois.
Lorsqu'elle tourne, elle est isolée du monde entier. Elle s'enferme dans la mélodie qui naît, vibre et meurt sous les doigts d'une pianiste de talent, dont le pupitre est chargé de réveries sentimentales de. Grieg, Reynaldo Haydn et tant d'autres poètes de la musique.
— Quel est votre film préféré, mademoiselle ?.…
— Jusqu’@ présent, c'était le Miracle des Loups. Mais je crois que je vais
U/: décor de chambrette. Au fond,
DEUX EXPRESSIONS D'EÉDITH JEHANNE El UNE SCÈNE DE TRAVAI, DU « PERROQUET VERT »
aimer encore plus le Perroquet vert. Mon rôle y est si dramatique !
— Vous aimez la tristesse ?.…
— J'aime tout ce qui parle à l'âme, tout ce qui est sensible et sentimental; j'aime aussi le rire, malgré tout.
— Mais le rire ému, qui touche de près aux larmes, peut-être ?
— C'est vrai !.….
Pensive, elle caresse d'un geste lent ses longues boucles dorées.
— Aimez-vous les fleurs?
— Oui, mais pas les fleurs de Serre, superbes et orgueilleuses. J'ai conservé de mon enfance — je suis née dans le Berry — une affection fidèle pour l’humble fleureite, le liseron, dont les clochettes blanches, si gracieuses, m'enchantentpar leur formeet leur parfum.
Edith Jehanne nous avoue qu’elle n'est pas superstitieuse, mais que les forces de la nature l'impressionnent beaucoup. L'orage et ses déchaînements brutaux d'éclairs et de tonnerre lui tordent les nerfs.
Puis, comme si elle était un peu gËénée d’avoir avoué cette petite faiblesse — chaymante faiblesse ! — elle se met à babiller et à nous parler du film en cours de réalisation : le Perroquet vert:
Son metteur en scène, Jean Milva?… Elle l'adore. Il est si peu exigeant! L'auteur du scénario, de Casembrot, est également un ami pour elle.
Edith Jehanne est une camarade exquise, au cœur délicat. Elle nous Présente, sans oublier personne, sa «maman », Suzanne Delprato, Mathilde Albarti, sa « gouvernante », et la «maman de son petit amoureux », la princesse Kotchaki, qui sont autour de nous.
— L'artiste masculin que je préfère?.. C'est bien difficile à dire, sans éveiller des susceptibilités. Parlons des artistes avec lesquels j'ai été directement en relations. Pierre Blanchar et Pierre Batcheff — les deux Pierre — sont des hommes qui «sentent» le cinéma... J'aime à leur donner la réplique. ù
— Et les Américains ?…
— Les Américains ?.. Je ne veux pas les connaître. D'abord, je ne tournerai jamais à l'étranger 1...
Elle a dit : « Jamais !... » avec une intonation tellement impérative que nous la regardons, étonné :
— Pourquoi « jamais »?…
— Parce que les étrangers ne comprennent pas les Français. Il y a quelque chose d'indéfinissable chez les nôtres qu'ils ne soupçonnent pas. Ils ne savent pas s'en servir, à plus forte raison. J'ai tourné pendant cinq mois à Berlin, sous les ordres d'un metteur en scène allemand. Je ne recommencevai plus. Je ne quitterai pas la France autrement que pour un metteur en scène français.
Nous méditons sur cet «indéfinissable» dont Edith Jehanne a parlé. C'est fort vrai. C'est une nuance ténue, impalpable comme la matière diaprée qui compose l'aile du papillon. Un rien la fripe et la souille. La sensibilité française en est enveloppée comme d'une gaze invisible.
Et tout le talent du metteur en scène consiste à percevoir ce rien, d'instinct…
GILBERT-ROLLAND,
— 5