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Le Cinéma et le Théâtre en Province
Je suis allé passer quatre ou cinq jours trop rapides sur la Côte-d’Azur, où m’attiraient les douceurs de l’amitié et les grâces ensoleillées du printemps. J’y ai joui des charmes de la nature, du parfum des fleurs, de la légèreté d’un air pur et vif, des merveilleuses féeries de la lumière. Contempler du haut de la plateforme du phare d’Antibes la crête neigeuse des monts d’Italie, la côte sinueuse et les pins de l’Estérel, les orangers aux fruits d’or, la mer d’émeraude ou de saphir: ce délice fait paraître étrangement vains les jeux artificiels de la scène; il en détourne l’esprit et les rend en quelque sorte haïssables. Le panorama des rochers rouges et des forêts vertes n’est-il pas le plus beau des décors? Auprès du rire innombrable des flots, qu’est-ce que l’hilarité du parterre?... Cependant, lorsque la nuit tombe et que les rues redeviennent tristes, la force de l’habitude réveille en l’âme du voyageur la nostalgie des distractions citadines... Et le voilà qui se met en quête d’un théâtre. Il interroge, non sans un peu de confusion (il rougit de son vice) le portier de l’hôtel... « — Nous n’avons plus de théâtre, nous avons des cinémas — Quoi? Pas même un café-concert, un music hall ? — Peuh! l’Eldorado joue une revue.. .-Si mon sieur veut aller voir çà... » L’ironie, le dédain perçaient dans les yeux, dans la voix du fonctionnaire galonné qui me donnait ces renseignements. Ma curiosité ne se laissa point décourager. Je me dirigeai vers l’Eldorado de Cannes. C’est un lieu poussiéreux, enfumé, totalement dénué d’élégance et de confort; il contient environ six cents fauteuils qu’occupait un
auditoire composé de touristes et d’indigènes. Les boutiquiers du quartier y coudoyaient des Anglais fumeurs de pipes. Sur les planches minuscules une douzaine de petites femmes se trémoussaient, levaient la jambe, exécutaient des gigues mathématiquement réglées. Je frémis d’horreur. Eh quoi! Etais-je venu errer le long de tes bords, ô Méditerranée, pour y retrouver le sempiternel bataillon des girls cosmopolites! Déjà je m’éloignais. La bonne humeur du compère, la gentillesse de la commère me retinrent. Ils chantaient l’un et l’autre agréablement; ils jouaient de même. Leurs camarades faisaient assaut d’entrain. Ils enlevaient avec une verve communicative les scènes de cette revue, qui valait, à peu de chose près, les revues de nos Capucines, de nos Scala, de nos Alcazar. Les allusions locales dont elles éta-ent bourrées ne manquaient pas de saveur. Il y en avait de plaisantes. La querelle d’un terrassier piémontais et d’une écaillère du port excita le fou rire. Il fallut recommencer les couplets trois fois. Enivrés par ce succès, l’écaillère et le terrassier redoublèrent d’ardeur et s’écroulèrent, à bout de souffle. Une enthousiaste ovation paya de leur peine ces excellents artistes dont j’eusse désiré citer les noms. Je les cherchai infructueusement sur le programme; il n’indiquait que le titre de l’ouvrage, les adresses du costumier et de l’électricien. Pas un acteur n’y était mentionné. Je restai confondu de tant d’indifférence ou de modestie. Je m’enquis de la provenance de la troupe; j’appris qu’elle avait été recrutée de-ci, de-là, partie à Bordeaux, partie à Toulouse. Une éternelle plainte acompagnait, comme un refrain, ces explications : « La concurrence du cinéma tue toute entreprise théâtrale. )> En effet, ce même après-midi, une représentation à'Andromaque, organisée sous une tente rustique, devant le mouvant horizon de la « gran
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