Le Courrier Cinématographique (Feb 1922)

6 LE COURRIER CINÉMATOGRAPHIQUE silence. Il y est question d'intermédiaires louches, de metteurs en scène plus soucieux de plaire à leur maîtresse, laquelle est nécessairement l'Etoile, que de réaliser une belle œuvre ou d'économiser les fonds de la commandite, etc., etc . De là à transformer en noble franchise ce que j’avais pris pour de l’égoïsme il n’y a qu’un pas que mon correspondant n'hésite pas à franchir et me voici voué aux gémonies en compagnie de tous ceux qui n'ont pas fait chorus avec le sycophante millionnaire qui, l’an dernier, a semé le découragement dans la légion déjà si timorée des Mécène du film français. Je ne me pardonnerais pas si je pouvais penser que je suis pour quelque chose dans les déboires de l’/nJâme Capitaliste. J'aime à penser que, seul, l’appétit * du gain n’eût pas suffi à l'entraîner dans le cercle enchanté. Le ton légèrement caustique de sa lettre m'autorise en outre à penser que la perte d’argent qu’il a enregistrée n'a qu'une importance relative et sans graves conséquences à redouter. Ce qui m'est le plus sensible c'est la constatation suivante que mon correspondant ajoute en post-scriptum et qui témoigne d’une bonne volonté définitivement désabusée: « Je n'ai pas même la consolation d’avoir contribué à l’embellissement du niveau artistique ou moral du public, car les œuvres auxquelles je m'élais intéressé et qui étaient d'un ordre relativement élevé cèdent le pas sur tous les programmes aux plus basses productions de l’esprit mercantile, qu'elles soient de France ou d’ailleurs. » Puisque ce capitaliste déçu me fait l'honneur de me lire je veux lui répondre ici en toute sincérité, non point dans le but de linviter à une troisième expérience ; il y viendra fatalement car on n’échappe pas à son destin; mais pour le mettre en garde contre luimême. Vous avez voulu, mon cher correspondant, participer à une très belle, très noble, très grande mission, celle qui consiste à créer de la beauté pour la foule. Vous avez poursuivi une chimère, senti la réalisation d’un rêve, ambitionné d’escalader les nues. Peut être même avez-vous fourni vous-même au metteur en scène l'idée d'un scénario; tout au moins vous vous êtes adressé à un de ces doctrinaires intolérants et farouches qui écrasent le vulgum pecus sous le poids de leur génie et proclament, à l’heure de l'apéritif, des théories péremptoires dont l'application doit rénover le Septième Art et aussi les six autres. Ou bien, séduit par le prestige d’un as du théâtre, vous avez cru à l’omniscience que lui-même il s’attribue avec une modestie digne de Brichanteau. C'est une tentative audacieuse que de prétendre embellir ou élever le moral de ses semblables. Ceux qui, à force de labeur, de patience et de vertu, métitent de prendre place dans le rang sacré payent cher la pierre qu’ils apportent péniblement à l'édifice des civilisations. Votre déception n’est peut-être que le Certes ! je n€ puis ignorer qu'il existe dans la corporation bon nom’ châtiment d'une trop vaste ambition. bre de corrompus, de jouisseurs et d’aventuriers san$ scrupules ; mais un homme averti — et votre lettre n'est pas dupe deux fois de ces faiseurs. Le capitaliste que vous quali indique que vous êtes de ceux-là fez ironiquement, sans doute en souvenir d’une épis thète péjorative dont vous a qualifié un de vos exploiteurs, ce capitaliste bon enfant que vous êtes aura 54 revanche quelque jonte Il suffra de vous pénétrer de cette vérité que rien n est plus pernicieux en cinémat0” graphie, comme en politique, que la confusion des pou” voirs. Lorsque vous aurez rencontré un artiste sincère, ayant déja donné quelques preuves de compétence et qui borne son ambition à faire de bons films sans prétendi à réformer l'humanité, il y en a de telsje vous l’afhrme ouvrez à cet homme votre caisse en conservant natu” rellement le droit de surveiller l'emploi de vos écus. Si votre collaborateur est honnête il ne se formalisera nullement du contrôle que vous exercerez. Malgré la crise, j'ai la certitude que vous échapperz cette fois à une réédition de vos précédents déboires: Et qui sait, peut-être réaliserez-vous par surcroît volé rêve de contribuer à une œuvre digne de figurer 44 livre d’or de la cinématographie. C’est la grâce que je vous souhaite. P. SIMONOT.