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PEU/ TRES PEU DE FILMS FRANÇAIS ONT UNE CHANCE DE SUCCÈS AUX ÉTATS-UNIS
(De notre correspondant particulier JEAN LENAUER)
Mayerling, en Amérique, marquera une date pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il a fait parler tout le monde du film français, à tel point qu’un producteur aussi important que Walter Wanger a, récemment, pris la défense du film d’Hollywood en comparant « les facilités du film européen avec les difficultés de la production d’Hollywood » .
Mais, autant il est plaisant de voir que les grands maîtres de l’industrie américaine se rendent compte que le film européen existe, autant il serait dangereux d’assurer que tout va bien dans Je meilleur des mondes. Nous nous trouvons en face de ce paradoxe que trop d’éloges peuvent être nuisibles, et je crois que nous nous apercevrons — à moins d’y mettre le holà — que Mayerling, ce même Mayerling , sera peut-être aussi la cause d’une défaite regrettable du cinéma français en Amérique. Je m’explique :
Ce succès a éveillé trop d’appétits, et il y a pas mal de gens qui feraient mieux de s’occuper d’autre chose que de cinéma, et surtout du cinéma français. Nous voyons depuis quelques mois, avec une appréhension difficile à dissimuler, des personnages venant de l’autre côté ou même des gens de New York qui, tout d’un coup, professent un grand amour pour le film français. Ce ne serait pas grave s’il était seulement question pour eux de gagner quelques sous car le commerce est libre pour tout le monde; mais malheureusement ces personnes importent des films qui sont nettement dangereux pour la réputation si péniblement acquise du film français, et les différents directeurs de salles qui ont commencé à prendre intérêt aux productions françaises vont perdre très rapidement confiance, quand on les obligera à jouer ces films sans valeur.
Cette année, une vingtaine de films français ont été projetés en Amérique mais trois seulement ont eu un succès convenable. Ce sont : Beethoven, Carnet de Bal et Les Perles de la Couronne (j’omets, bien entendu, Mayerling, dont l’éloge n’est plus à faire).
Vous allez me demander, probablement, ce qu’il faut faire.
D’abord, il faudrait une organisation des producteurs français empêchant l’exploitation d’un certain nombre de films qui font un tort énorme. Il serait de beaucoup préférable de ne faire voir ici qu’un nombre limité de films, mais d’excellente qualité. (Je ne parle pas de quelques cas rares ou de films médiocres qui ont été achetés à des prix fixes, car je me rends compte qu’on ne peut pas demander aux petits producteurs de refuser de l’argent quand on le leur offre. Il est vrai que les acheteurs de ces films fermeront bientôt boutique; les résultats seront en effet tellement mauvais que leurs finances ne leur permettront pas de commettre d’autres erreurs. Je pense surtout aux films de second ordre qui ont été donnés en distribution par des producteurs de bonne ré
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Façade du Continental de New-York pendant la projection de Merlusse de Marcel Pagnol
putation qui jugent de la qualité de leurs films d’après les recettes faites en France. Tout le monde devrait savoir que ce n’est pas un critérium bien intelligent car, très souvent, les films à bonnes recettes en France ne valent rien pour ici).
Je préconiserais de faire attention aux informations peu sérieuses qui se répandent de plus en plus. Ne vous laissez pas exciter par les quelques informations que vous avez obtenues au sujet du passage de certains films français dans les grands eireuils. A part quelques exceptions très rares, ces expériences ne sont nullement concluantes. Jusqu’à preuve du contraire (Mayerling toujours excepté), je maintiens que les circuits américains ont donné des résultats financiers plutôt médiocres.
Le fait qu’un film passe dans 20 ou 30 cinémas d’un circuit remplit peut-être le producteur français de joie, mais il reste néanmoins comme résultat que les sommes qu’il obtiendra seront peu reluisantes. Par contre, il a été prouvé que même pour des secondes exclusivités dans les petites salles spécialisées, les résultats financiers étaient beaucoup plus appréciables et, très souvent, supérieurs à ceux des grandes salles qui, elles, supportent des frais trop élevés.
Ceci me fait penser aux bruits qui ont circulé récemment à propos d’un film français qui, disaient les communiqués, passerait au Radio City Music. Hall. Ce n’est pas seulement une nouvelle erronée, mais ce serait
— si les dirigeants de cette salle y pensaient
— tout simplement dangereux.
Ce dont on ne se rend pas compte très souvent, c’est que cette salle doit encaisser 65.000 dollars par semaine avant d’avoir
couvert ses frais. Ce serait donc pure folie de penser qu’un film étranger puisse avoir des recettes aussi formidables que celles exigées par des salles pareilles. Il est certain que très peu de films américains ont reçu d’une première exclusivité des sommes aussi importantes que celles que nous avons pu obtenir pour Mayerling au Filmarte.
Il faut rester dans la logique des choses... tout simplement. Jean H. Lenauer.
L’article de notre collaborateur Jean H. Lenauer, directeur de Filmarte de NewYork, se trouve pleinement confirmé par l’article publié par notre confrère américain Variety.
En voici les principaux extraits :
« Le marché américain est encombré de films étrangers — peu d’entre eux font des recettes sérieuses — la plupart sont faibles, les directeurs de salies manquant de perspicacité.
A la suite du succès de certains films d’origine étrangère sur le marché américain l’an dernier, un afflux de production européenne de qualité médiocre envahit en ce moment le marché. Les distributeurs de films étrangers qui sont déjà depuis longtemps spécialisés dans cette direction voient avec crainte ce flot de films de peu de valeur. Ils pensent que cela aura une influence néfaste sur l’ensemble des films étrangers et débarrassera le marché de New-York de plusieurs distributeurs qui travaillent actuelle
ment.
Les recettes faites par Mayerling et une ou deux autres productions étrangères ont conduit plusieurs distributeurs indépendants à se lancer dans les films importés. 11 en résulte un important afflux de films médiocres, dont certains sont vieux de 3 ou 4 ans. On a cru que si des producteurs étrangers avaient pu réaliser Mayerling, ils devaient avoir d’autres films aussi capables de réussir ici, ce qui nous a malheureusement montré seulement le nombre de films médiocres actuellement réalisés à l’étranger. La plupart des distributeurs réalisent maintenant que tout ce qu’on peut attendre c’est qu’un ou deux films à succès, comme Mayerling ou La Kermesse héroïque puissent être réalisés par un pays étranger en une période de 1 an ou 18 mois. Et les distributeurs qui ont eu la tentation de faire un essai dans le marché des films étrangers ont appris cela à leur détriment.
Ce que les petits distributeurs n’ont pas su apprécier c’est que pour 15 ou 20 films à succès produits en France et en Angleterre dans ces deux dernières années, l’Angleterre a environ 200 films et la France 150 que pas un directeur de cinéma des Etats-Unis ne voudrait présenter, à moins de mourir de faim. La récente habitude des producteurs ou distributeurs français ambitieux de venir à New-York pour y présenter personnellement leurs films n’avance à rien non plus.