La Cinématographie Française (1938)

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48 lkxxxxxxxxxxi ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ cette franchise excessive nous est fatale. Et lorsqu’il s’agit de cinéma nous payons cher cette manie de la confession publique. La plupart des autres peuples, en effet, calculent immédiatement les incidences que peut créer un scénario dans le domaine de la propagande. Un film va partout. C’est, dans l’ordre moral et intellectuel, un placard de publicité. On se penche avec curiosité sur un scénario venu de Londres, de Rome, de Varsovie, de Berlin, de Moscou ou d’Hollywood pour y épier la psychologie secrète de 1 Angleterre, de 1 Italie, de la Pologne, de l’Allemagne, de la Russie ou de l’Amérique. Un film est toujours un aveu. Les peuples s’y présentent peints par eux-mêmes, ce qui donne à ce document une valeur instructive considérable. Même dans le plus insignifiant des films romanesques, on cherche à deviner la façon de vivre, de travailler, de s’amuser, de de s’habiller, de se loger et de s’alimenter des indigènes de telle ou telle région des EtatsDésunis d’Europe. Beaucoup de producteurs étrangers tiennent le plus grand compte de cette curiosité înstmctiv des publics internationaux qu’ils auront à affronter. Connaissant très bien les déductions un peu hâtives de la foule et sa manie des généralisations arbitraires, ils élimineront avec soin de leurs films tout ce qui pourrait porter atteinte à leur honneur. On n’y trouve que des personnages sympathiques, doués de toutes les qualités et de toutes les vertus. On n’y fréquente que de petits saints. Beaucoup de peuples ont pris ainsi l’habitude d’être « en représentation » devant les jurys cinématographiques et de prendre complaisamment des attitudes morales avantageuses devant l’objectif. En France, au contraire, nous méprisons ces coquetteries tendancieuses. Que dis-je, nous tombons volontiers dans l’excès opposé. Nous allons au devant des critiques si souvent injustes qu’on nous adresse et nous donnons à nos ennemis des verges pour nous battre. Lorsqu’on songe à l’ingéniosité avec laquelle la malveillance internationale s’exerce à nos dépens, on ne peut plus trouver innocente cette attitude désinvolte dont la crânerie nous plaît. f * * * Je ne crains pas de prendre des exemples. J’en choisis deux, au hasard, parmi les films dont la qualité ne saurait être discutée. Ce sont deux films que, pour ma part, je trouve admirablement réussis et qui font le plus grand honneur à notre production nationale. Je l’ai dit, je l’ai écrit et je le répète volontiers. Eh bien, si j’avais pris part au vote de la commission, je les aurais écartés d’une épreuve internationale. Je pense en ce moment à ces deux très belles réalisations qui s’appellent Pépé le Moko et Le Quai des Brumes. Voilà, n’est-il pas vrai, deux splendides films français. Mais voulez-vous songer un instant à l’exploitation sournoise que l’on peut faire contre nous de ces deux réalisations de premier ordre ? Ne voyez-vous pas d’ici la brillante campagne d opinion que l’on peut amorcer dans certains milieux anti-français contre notre politique coloniale en faisant observer que de notre propre aveu nous sommes incapables d’organiser l’Algérie, puisque sa capitale est un repaire inexpugnable de bandits et de hors-la-loi ? L’impuissance de notre administration à assainir la Kasbah se trouve soulignée par nos auteurs, nos metteurs en scène et nos acteurs d’une façon si éclatante que toute discussion est vaine. Ce tableau d’Alger peint par des Français est plus éloquent que n’importe quel article de polémique. La France s’avoue elle-même indigne de posséder et incapable d’administrer un empire colonial. De même, le Quai des Brumes nous montre à quel degré de dégénérescence et d’abjection est tombée notre population provinciale. Une ville maritime française est le décor naturel d’un ramassis d’épaves sociales lamentables qui grouillent dans un climat d’immoralité vraiment stupéfiant. Ce ne sont pas des étrangers haineux, ce sont des Français qui nous avouent que dans cette ville il n’existe pas un seul personnage propre. Non seulement les soldats de l’infanterie de marine les plus sympathiques ont un passé louche, lourdement chargé, et sont obligés de fuir systématiquement les représentants de l’autorité, mais le haut du pavé appartient aux « mauvais garçons », sans qu’on aperçoive d’ailleurs un seul agent de police dans ce milieu pourri de vices où l’on assassine et où l’on se livre à la traite des blanches avec une parfaite impunité. L’héroïne du film est une pitoyable créature exploitée par d’invraisemblables crapules. Et le seul échantillon que l’on nous présente du Français-moyen, choisi dans la caste rassurante des boutiquiers de tout repos, ressemble bien peu au petit-épicier-de-Montrouge de François Coppée ! Cet honorable commerçant est une effroyable gouape capable de tous les crimes. Bref, une sous-préfecture française dépeinte par un Parisien démontre à tout l’univers que nous sommes un peuple fini, rongé par la gangrène du vice et que, lorsqu’un de nos compatriotes veut donner une image fidèle de son pays, il est obligé de charger sa palette des plus sombres couleurs. Je sais, je sais, la pègre existe, et tout un snobisme, né du music-hall et de la chanson, nous a intéressés au « milieu » et à sa faune pittoresque. Nous avons pratiqué avec ivresse le lyrisme du ruisseau. Nous avons creusé à fond la poésie des bars, des alcools et des stupéfiants. La Vénus des carrefours a exalté l’imagination de nos poètes et de nos romanciers. Des fils de bourgeois ont tiré de ce thème faubourien de très ingénieuses variations et je vous concède qu’un type d’ « affranchi » à la Gabin est plus photogénique qu’un petit fonctionnaire de l’enregistrement doué des plus rassurantes vertus familiales. Nos artistes cèdent donc volontiers à la tentation de traiter ces sujets hauts en couleur. Encore une fois, j’avoue que Le Quai des Brumes et Pépé le Moko sont deux films excellents, d’un accent énergique et juste. Tout cela existe, tout cela est vrai. Mais, dans un concours, tout cela est détestable. i * * * Je m’empresse d’ajouter que les Américains ont souvent commis la même faute. Certains films de gangsters ont fait le plus grand tort au prestige moral, intellectuel, artistique, et, osons le dire, touristique, des Etats-Unis. Les Européens, en prenant acte des aveux des cinéastes du Nouveau-Monde, ont pu en conclure que la police américaine était hors d’état d’assurer la sécurité des passants dans les rues de New York. Et, de même que toutes les mères des deux Continents tremblent en voyant partir leur fils ou leur fille dans la direction de la Babylone moderne, beaucoup de Français hésitent à aller risquer leur peau dans les carrefours de capitales balayées par les mitrailleuses des racketeers. C’est de la contre-propagande. L’artiste français est, par naissance, un peintre de mœurs. Plus ces mœurs sont pittoresques et plus son étude est aiguë et poussée. Dans un roman, cette curiosité est sans danger. Mais le chef-d’œuvre qu’est Bubu de Montparnasse a engendré toute une famille de faux chefs-d’œuvre où le souteneur, l’assassin et la pierreuse analysent leur état d’âme avec une complaisance excessive. Le snobisme du trottoir a pris depuis quelques années un développement inquiétant. Tant que Prosper — yop-là boum ! — demeure un joyeux personnage de café-concert, lorsqu’il est incarné avec une aimable jovialité par notre Maurice national, nous pouvons nous résigner aisément à cette inoffensive tournée des Grands Ducs. Mais lorsque le cinéma, terrible instrument de vulgarisation et de propagande, exécute de trop brillantes variations sur ce thème dangereux, nous avons le droit de nous alarmer et de crier casse-cou. * * * Le film est un mode d’expression qui ne peut pas se désintéresser de ses responsabilités internationales. Elles sont considérables. Ici, l’égoïsme sacré de l’art n’est plus défendable. Que nos metteurs en scène aient la sagesse de tenir compte de cette observation de bon sens. Et voilà pourquoi, en présence d’un chefd’œuvre authentique dont la projection sur les écrans français ne présente aucun inconvénient, les membres du jury de la Biennale peuvent quelquefois éprouver des très sérieux scrupules de conscience. Nous nous trouvons ici, en effet, en présence de la manifestation la plus caractéristique de la grandeur et de la servitude du Septième Art. Emile VUILLERMOZ.