La Cinématographie Française (1938)

Record Details:

Something wrong or inaccurate about this page? Let us Know!

Thanks for helping us continually improve the quality of the Lantern search engine for all of our users! We have millions of scanned pages, so user reports are incredibly helpful for us to identify places where we can improve and update the metadata.

Please describe the issue below, and click "Submit" to send your comments to our team! If you'd prefer, you can also send us an email to mhdl@commarts.wisc.edu with your comments.




We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.

Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.

51 L’ART LE PLUS MODERNE DANS LA CITÉ DES SONGES par PIERRE LYAUTEY ESPRIT DE LA BIENNALE Les amants de Venise s’attardent avec délices aux soirées qu’organise sur la grève du Lido la « Biennale ». Hier, nous étions conviés tout auprès de l’Adriatique, à quelques brasses des pêcheurs aux voiles écarlates, à contempler l’art cinématographique des studios de l’Europe. Il faut remercier les initiateurs de cette grande Bibliothèque du Film. L’image exigeait une vie spirituelle. Nous ne pouvions plus résister à l’ennui de ce film désormais condamné : randonnées automobiles effrénées des banoits masqués, batailles au revolver de l’ascenseur au gratte-ciel, médiocre sentimentalité par téléphone, etc... Il fallait donner au cinéma une pensée répondant à la sensibilité de millions d’individus. Programme magnifique. S. E. le Comte Volpi di Misurata a eu l’audace intellectuelle ce le proposer, la volonté de l’imposer. L’Europe, année par année — j’ai assisté à ces progrès de l’esprit — a pris conscience de sa valeur cinématographique. Et désormais, l’image vivante a le même rythme que celui de nos cœurs. LE PUBLIC DES SOIREES DU LIDO Souvent, au cours des entr’actes, j ai contemplé le public. International, il est une synthèse des élites de notre temps. Ce sont là des spectateurs fort difficiles à contenter; leurs silences, leurs applaudissements, leurs propos de couloirs ont une grande influence. Si le programme soumis à leur jugement pendant le festival n’obéissait pas aux lois de leur agrément, ils s’interdiraient le séjour du Lido. Le jury a donc la tâche fort délicate de songer toujours à l’avenir de la saison d’été : il s’en acquitte avec impartialité et sagacité. Mais ce public comprend aussi des Vénitiennes et des Vénitiens. Est-il de meilleur juge ? Maurras, Barrés, Musset nous ont depuis longtemps laissé apercevoir la rare qualité d’esprit de celles et de ceux qui demeurent sur les rives du Grand Canal. Hérédité illustre. Génie de la Méditerranée. Heureuse rencontre de tant d'influences. Pour soutenir et accompagner les progrès du cinéma d’Europe, il fallait un auditoire doué de souplesse et de langueur, de pénétration d’esprit, de sensibilité persuasive. Ah ! Ces soirées étaient merveilleuses. Le visage fouetté par des brises qui venaient des Alpes ou de ITstrie, sur cette terre parfumée, les heures glissaient et le cinéma semblait ainsi plus en contact avec la nature, l’une des plus belles qu’il soit. Quand fut construit le magnifique palais qui désormais recueille nos jugements, j’éprouvais une inquiétude, je me demandais si l'œuvre des hommes pourrait le disputer avec le théâtre de plein air au clair de la lune vénitienne. La bataille a été gagnée. Et cette demeure grandiose est à la mesure de Venise, de la Biennale et de notre tâche à tous. Et comme je suis Français, je me suis réjoui de penser que l’inauguration de cette féérie coïncidait avec les succès de la production française, succès enregistrés ensuite par l’immense public américain. LES ETATS-UNIS OUVERTS AU FILM FRANÇAIS Les jugements de Venise ont été en effet ratifiés par le Nouveau Monde. Et cet hiver même j’ai eu l’agréable surprise d’assister aux Amériques à un phénomène qui a sa valeur politique et spirituelle : désormais le film français est demandé par le public américain : demande qui s’accroît depuis la vogue du livre de Mlle Curie et du théâtre de M. Giraudoux. Avant Venise, nous subissions le flux « à sens unique » du film d’Amérique. Depuis Venise, le reflux du film d’Europe au delà de l’Atlantique a commencé; et la production européenne incarne des qualités, des tendances tout à fait nouvelles. Ce serait évidemment simplifier à l’excès l’un des problèmes les plus complexes que d’attribuer à la seule influence de Venise un tel mouvement de pensée. Mais ceux-là même qui, en Europe, se sont donné sincèrement à cette tâche passionnante, ont pu à Venise confronter leurs projets, nuancer Lurs rêves, ajuster leurs enthousiasmes, puiser, grâce à cette émulation européenne, des raisons de croire et de vouloir. LE ROLE INTERNATIONAL DU CONCOURS VENITIEN Elle est bien comprise, cette œuvre internationale qui conduit, par l’adhésion morale consentie de tous, à une action. Ceux qui jugent trop vite doivent ici réfléchir un instant. L’Italie nouvelle, dont la philosophie est si longue et si intéressante à comprendre, sait donc agir, et avec efficacité sur le plan international. Et lorsque les Vénitiens, en « lancia » ou « vapore », voguent, le spectacle terminé, vers Saint-Marc, ils ne manquent jamais, portant un regard sur leur passé, leur prodigieuse histoire, de songer au destin qui leur permet aujourd’hui d’exercer une influence spirituelle sur les sensibilités les plus naïves de tout l’univers. Chateaubriand a écrit que les peuples aiment à se laisser guider vers la réalité par des songes. Hier, certain cinéma assez ridicule nous crispait; mais aujourd’hui, dans nos soirées d’hiver, le film enchante nos rêves. Le rôle réel de la Biennale est ainsi utile et bienfaisant. Et remercions Venise de demeurer, par une adaptation à ce siècle, la Cité des Songes.