La Revue du cinéma (1928 - 1929)

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DU CINfcMA assis et naifs, me plaisent. Et cent autres indelicatesses touchantes qu'il serait vain de raconter et sot de devoiler. II n'en faut pas plus, je pense, pour que bien des promenades alourdies aillent se briser dans ces souterrains. Buster Keaton qu'on oubiie, Buster Keaton qui n'a jamais pu rire puisque tout ce qui lui arrive n'est pas drole, ce personnage rigide et insolent malgre lui, c'est 1'homme de la solitude. On tremble a la pensee d'un Buster Keaton soldat qu'on enverrait sans nul doute chercher la cle du champ de manoeuvres jusque sous les meubles de la femme qu'il aime, et qui ne le croyait pas si sot. A-t-il jamais parle? C'est impossible, il est toujours tombe avant. Ma vache et moi. Sa vache et lui. Ce film montre un homme entoure d'elements muets et etrangle par eux, etouffe par des tonneaux vides, ahuri par un ranch desert seme de pieges a loup. Seul comme une gare de marchandises a midi. Les complices du jeu sont pourtant attentifs, mais c' est dernere un portant, ils sortent du champ avant qu'il y entre, lis en ressortent avant qu'il y rentre. Tout est pret dans la petite epicerie cahfornienne tenue par un usurier a la barbe mobile pour que les declanchements imprevus viennent l'abrutir sur un signe de sa maladresse. Autrefois ce n'etait pas Buster Keaton, c'etait Frigo. L e clown Porto, du Cirque Medrano, lui ressemble comme un frere. C'est le meme petit type sec, couperose et flottant au milieu d'un remous de vetements prets a fuir. II est serieux comme la misere, et toujours une tres longue mine, pour demenager dans des rues vides soudain bondees de police a ses trousses, pour manoeuvrer des decors dans un theatre qui finira par bruler, pour ramoner les cheminees, pour laver les assiettes. Nous sommes au temps ou le Cinema c'etait un homme-sandwich malheureux. Cependant le jeu que je joue ici, je le sais dangereux, et c'est encore une raison de le jouer. Le moment est venu de s'exphquer et de retourner les cartes. Jadis, lorsque le cinema n'etait pour quelques-uns d'entre nous, qu'un plaisir defendu, les films (les Actualites surtout) derangeaient l'ordre du monde. Un perpetuel decalage, une deviation souvent imperceptible faisaient des etres de l'ecran des sosies absurdes et irritants, trop rapides, trop saccades, trop reussis de ceux de la rue, et parfois aux arrets de l'orchestre, vous entendiez les trompes d'autos avec un certain effroi. Aujourd'hui c'est la facilite impitoyable de ces etres qui me semble etrange, et le role des sosies est renverse. C'est pourquoi certaines criaillenes au « reahsme » m'apparaissent maintenant comme des plaisantenes douteuses, et qu'il m'est tout a fait impossible de retrouver dans le cinema les classifications esthetiques qui sont cheres au sport critique. Un film que je deteste est au-dessous de moi, un film que j'aime, au-dessus (1). II faudrait croire davantage aux vies separees pour ne pas vouloir se perdre a travers ce dedale de moi-meme, ou je me trouve sans y penser. Ce que je n'ai pas ete, ce que je ne serai pas, mais ce que je suis soudain devant moi, voila qui est propre a bouleverser les etats-civils les plus opiniatres. Ce cinema qui facilite ma confusion, qui r'entremet pour elle, qui trahit brusquement de vieux desirs dont on ne voulait plus, qui me donne cent gestes a unir, a desunir et a vivre au moment meme ou je suis immobile et tout a fait oubiie devant lui, je ne connais pas de mystification plus sure ni qui soit plus urgente. Cette histoire n'en pas lair, mais elle me porte a la magnifique AURORE de Murnau. Voici un film aussi imprevu, aussi desire, aussi grand que Vanetcs! Et j'ai encore beaucoup d'adjectifs comme ceux-la. La serenite de la lumiere y est presque sans exemple. Aunons-nous jamais pu croire qu'une petite aventure villageoise avait tant de grandeur et contenait en elle (I) Des films bons, comme de bons romans (si j'ose cine) il y en a tous les jours davantage. Une singerie litteraire pousse deja les metteurs en scene a se soucier d'avoir une oeuvre riche, ascendante, graduee a point. Mais je m'en moque infiniment.