La Revue du Cinema (1947)

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fantastiques. On n'entend que la mer et le bêlement de quelques chèvres invisibles. Un homme monte le sentier. Il a une barbe et des cheveux blonds en broussaille. Il tient un long bâton; et il est nu sous sa veste de toile usée. Le bêlement des chèvres se rapproche. Le vagabond continue à monter doucement, d'un pas égal, sous le soleil. De derrière un buisson, deux yeux d'une intensité presque hallucinée, le fixent, le suivent. Puis, quand il est passé, une fille échevelée, bouleversée, débouche sur le petit sentier. Elle regarde encore l'homme qui monte et elle commence à le suivre, comme attirée par quelque chose de mystérieux, visible pour elle seule. L'homme a disparu; et la fille se met à gravir le sentier avec la fougue animale d'une de ses chèvres. Elle regarde anxieusement autour d'elle. Tout à coup, ses yeux, où se rallume une lueur d'égarement extatique, reflètent un bonheur infini : l'homme est réapparu, comme par enchantement, entre deux roches, ses blonds cheveux à peine agités par le vent. Il tourne lentement vers la fille un regard étrange, un peu absent. La fille plie doucement les genoux. Dans un silence quasi magique, on entend tout juste sa voix qui chuchotte : « Saint Joseph... « Avec une sereine indifférence, le vagabond a déjà détourné ses yeux de la fille. Il dépose son bâton, prêt à s'arrêter. La fille est toujours agenouillée. Elle parle encore, et sa voix, âpre et douce, avec de soudains éclats de joie, sa voix un peu rauque, étrangement inégale, a quelque chose d'inhumain. Comme en rêve, la fille remercie le saint de lui être apparu : elle l'a tellement attendu, et maintenant, voici... L'homme se tourne pour la regarder et, pendant une seconde, il sourit légèrement. Il ne semble ni surpris ni gêné. Il répond simplement qu'il a faim; il tire son repas d'une besace. La fille a disparu. A son. retour, elle s'approche du vagabond, les mains tendues, confiante et simple comme une enfant : elle a apporté au saint tout ce qu'elle possédait. Elle le regarde, émue, pendant qu'il mange ce qu'elle lui a offert; et elle le remercie d'avoir accepté. Puis elle s'étend un peu à l'écart, tantôt silencieuse et comme en extase, tantôt prise d'étranges effusions, disant des phrases inachevées, élémentaires, instinctives. Dans ses paroles passe toute sa pauvre vie de créature misérable et simple, séparée des autres gens par le mur de son esprit dérangé, qui ne saisit rien de la vie courante. Combien de fois, quand sonnaient les cloches, n'a-t-elle pas entendu la voix de saint Joseph ? La voix de saint Joseph et celle de l'archange saint Michel qui l'encourageaient à prendre son essor, à survoler, du haut de ces falaises, l'étendue infinie de la mer; mais elle n'a jamais osé le faire... Et puis, comment parler de ces choses avec les autres hommes? Ils ne comprennent pas souvent, ils lui lancent des pierres... Saint Joseph est venu la chercher, n'est-ce pas? Il va l'emmener avec lui?... Oui, l'unique grâce qu'elle lui a toujours demandée, c'est de mourir. Il le sait bien. Mourir, quitter ce monde où l'on ne peut pas voler, aller avec les anges et les saints... Pourquoi donc Jésus ne revient-il pas sur la terre?... Il y a tant de méchantes gens. Si Jésus venait... C'est sur ce bâton que le lys est éclos?... Elle sait tellement de choses de la vie du saint ; elle pourrait même lui réciter par cœur un passage de l'Écriture où l'on parle de lui... L'homme ne l'interrompt pas. Il mange, boit à la fiasque qui pend à son côté et, de temps en temps, il regarde du coin de l'œil celle qui lui parle. Peutêtre n'entend-il même pas ce qu'elle dit. Mais, sous ses cheveux flamboyants, i8