La Revue du Cinema (1947)

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Quelques instants avant l'aube, alors que déjà une vague lueur annonçait à l'horizon le lever du jour, il pénétra par la porte Sud, dans le parc du château où personne ne s'aventurait plus depuis le bal tragique que mentionnèrent les chroniques du temps. Il avançait dans la grande allée entre une double rangée d'arbres foudroyés et de racines calcinées. Il y avait dans l'air quelque chose de grave, de funèbre, de retenu; les oiseaux passaient dans le ciel très lentement en poussant des cris. Il leva la tête et constata qu'ils volaient à l'envers. Il comprit qu'il entrait dans un univers déserté par la logique et l'ordre naturel des choses. C'est pourquoi il ne fut pas outre mesure étonné par le spectacle que lui révéla peu à peu le jour qui naissait, blafard, glacé, chargé de menaces. Une jeune fille à demi-nue était étendue sans vie sur le sol. Son corps qui était d'une grande beauté paraissait de marbre, et son visage était entièrement dissimulé par son épaisse chevelure rousse. Quelques mètres plus loin, trois bras sortaient du sol. Ils s'agitaient mollement. L'homme frissonna, il se sentait épié et découvrit dans des cratères creusés, çà et là, par quelque explosion inconnue, des yeux humains au bout de tiges balancées par la brise et, émergeant d'un buisson, une tête de chien inanimée. Il aurait pu rebrousser chemin mais ces yeux n'étaient que tristes, la tête de chien n'avait quasiment pas de regard, et puis il découvrit son propre visage reflété dans un miroir ovale accroché à un tronc d'arbre déchiqueté de forme vaguement humaine, et il comprit à la fois que le temps des prodiges était venu et qu'il avait rendez-vous avec la mariée qui était morte au bal du château. Il leva la tête et découvrit le château : intact, paisible avec ses toits d'ardoises luisants de rosée, ses tours de briques ocres, son perron étincelant de blancheur, ses grandes fenêtres régulières, son air rassurant... à cet instant le soleil se levait, des fanfares lointaines éclataient dans les campagnes, les voiles du mystère se déchiraient peu à peu. Il se mit à courir. Il passa le petit pont qui franchissait le fossé sans remarquer qu'au fond y gisait un habit de marié et un gros bouquet d'une fraîcheur telle qu'il faut bien penser que des mains inconnues le renouvelaient chaque jour. Il dépassa aussi les deux petits pavillons, qui bordaient la grille intérieure, sans remarquer leur apparence curieuse et que d'une façon tout à fait absurde, des fumées noires y entraient très lentement. D'un bond, il fut sur le perron de ce château, net, clair, vraisemblablement achevé la veille, peut-être même pas encore édifié, car les maisons se construisent bien avant qu'on en trace les plans. Leurs cheminées fument, leurs lumières jaillissent, leurs tapis se déroulent, avant qu'on ait prévenu l'architecte, l'électricien, le tapissier et pour elles, qu'aucune étreinte n'a encore conçue, le peintre déjà encadre son tableau, le sculpteur choisit minutieusement le socle de sa statue, et ils le savent et les fleurs déjà poussent dans mille jardins. Quelque chose vibrait dans l'air. Les sortilèges ne vont pas sans énigmes, les énigmes commençaient à chanter doucement, le château était impatient de livrer les siennes, avec une douce violence la porte s'ouvrit toute seule... 40