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Nous avons même eu assez de mal, Rune et moi, à trouver ce cri. Nous avons essayé toutes sortes d'animaux. Finalement, c'est un phoque qui noas l'a donné »... Le grand Eisenstein en eût poussé des hurlements de joie.
Ailleurs encore, vers la fin, le héros du film tente de donner la mort. Il va dans sa cuisine et ouvre le rohinet du réchaud à gaz. La caméra le suit et prend en très gros plan le bouton ouvert de la cuisinière. On entend le faible sifflement du gaz qui s'échappe. Le personnage recule pour regarder sa chambre et s'étendre sur son lit où il va attendre )a mort. La caméra, qui ne le quitte pas, recule avec lui et s'éloigne de la cuisinière. Dans le cadre, les dimensions du robinet puis du réchaud diminuent de mètre en mètre. Normalement, le sifflement du gaz, lui aussi, devrait décroître et devenir rapidement inaudible. Au lieu de cela, il grandit. De seconde en seconde, il s'amplifie et, lorsque la caméra est à la hauteur du divan, il devient littéralement assourdissant, — à tel point que le spectateur se sent envahi par le son comme le personnage l'est par le poison... L'effet est extraordinaire. Or, dans ce défi manifeste à tout bon sens, dans cet irréalisme presque inconnu au cinéma, ne faut-il pas voir le témoignage le plus probant du « sens cinématographique » de Hagberg ? Plus délibéré que jamais apparaît dans ce passage sa volonté de substituer, à l'écran, une réalité psychologique ou s\Tnbolique à la réahté sensible — ou, plus subtilement encore, d'établir par les moyens originaux du cinéma de saisissantes équivalences entre tous les registres de la réalité. Cette fois, c'est Pirandello qui a dû frémir de joie dans sa tombe.
Il y a incontestablement dans ce film — encore balbutiantes, incertaines ou gauches — toutes les ressources artistiques qui peuvent être tirées d'une conception ré\ olutionnaire du « couple image-son ». L'adéquation du registre sonore au registre visuel est du reste sensible tout au long du film, et il reste a parler du rôle que joue, dans la plupart des scènes, la musique de radio, qu'émet un poste dans la chambre de l'étudiant. Cette musique (enregistrée après coup mais prévue dès le scénario) établit avec l'atmosphère plastique psychologique du drame des rapports sonores d'une grande exactitude et d'une surprenante efficacité, qui peuvent être donnés en exemple aux cinéastes de demain.
Mais on n'aurait rien dit de ce film, en fin de compte, si l'on ne disait comment il a été réalisé. Ce sont sans doute les conditions de sa création même qui lui donnent le plus de singularité et le caractère le plus exemplaire. Ce sont elles aussi qui sollicitent au plus haut point l'intérêt et la sympathie. Elles font de ce film une entreprise à peu près unique dans les annales du cinéma une aventure elle-même « polyvalente « et symbolique où un homme s'est engagé corps et biens.
Rune Hagberg est né, voilà vingt-neuf ans, d'un père qui était chanteur de musichall et qui devint acteur de cinéma. Son grand 'père avait construit de ses mains une salle de projection, en Nordland, et en avait longtemps assuré l'exploitation. Vers 1920, en véritable pionnier, l'ancêtre avait réalisé plusieurs petits films avec l'aide d'un opérateur, d'une jeune actrice et des plus pauvres moyens de fortune. Rune devait exactement en faire autant.
C'est, en effet, avec la seule aide d'une poignée de jeunes camarades et d'une petite danseuse norvégienne échappée d'une école de chorégraphie (il s'agit naturellement d'Ami Aaroë), que Rune Hagberg a fait son film, en trois ans, dans un appartement d'étudiant, avec une caméra Zeiss 35 mm. muette, achetée d'occasion.
— Il y avait longtemps — m'a-t-il raconté — que je travaillais avec un PathéBab}-, sous la conduite de mon père. Je rôdais dans les studios à la recherche d'un
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