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poésie. Mais ce qui n'est que nouveau perd bientôt sa vertu pseudo-poétique, pour ne plus laisser voir qu'un truc auquel nul ne se laisse prendre. Tous les films reposant sur des artifices techniques n'ont pu faire qu'un temps illusion. De ces espoirs déçus, je retiendrai seulement le plus tenace, celui qui s'attache à l'expression du lyrisme dont le grand représentant est Sa Majesté Eisenstein.
A priori, l'idée peut sembler heureuse dans un art où la mécanique entre pour une forte part, de faire appel à l'élément mécanique de la poésie, au lyrisme, pour exprimer la poésie de cet art. Alors, on entasse les fragments en gros plans, on multiplie les points de vue, on fait appel à tout ce qui court, fuit, vole; on photographie le vent, la vapeur, les crinières, la vitesse, et l'on débite le tout en appuyant sur 1 accélérateur. Devant ce halètement d images, la cervelle dj spectateur est prise de vertige. Les courants d air sifflent dans les sillons de matière grise. On ne réfléchit pas plus que dans une chute d avion; on se rassemble dans le pincement de cœur bien connu des amateurs d ascenseur.
La tempête passée, on remet de l'ordre dans sa chevelure. Et, à analyser la qualité de son émotion, on la sent très parente de celle que procurent les Montagnes Russes. Tout ça ne repose que sur des artifices de découpage, une patience de monteur qui a cuisiné à froid les éléments auxquels la machine à dérouler la pellicule communiquera la fièvre. L'élan n'est pas passé directement de l'imagination de l'auteur à la matière de son œuvre. Toute une spéculation, frigorifiante quand on y songe, s est glissée dans l'intervalle. Et l'on a honte de s'être laissé prendre au jeu comme à un tour de prestidigitateur bien fait. Sans doute, en littérature aussi, le lyrisme repose sur des artifices, mais il traite une matière en elle-même assez noble, et prise toute chaude à la source d une pensée qui se voulait bouillante. C'est l'eau même de la chaudière sous laquelle s'allumait l'inspiration. Tandis qu au cinéma, les images sont froides, indifférentes, étrangères même à l'élan qu'elles sont chargées de communiquer. Cette sorte de viol mécanique auquel se livre le lyrisme, prend toute sa signification quand il s'attaque à la matière vivante du langage : c'est une atteinte portée à quelque chose qui pourrait être précieux, une violence faite à ce qui existe réellement, à la substance de la pensée, une façon brutale d arracher à cette pensée malade les bandelettes de mots dont elle s'enveloppait, de déchirer les bandages d'une plaie vivante, et, avec un peu d'imagination, on peut restituer le hurlement du patient. Au cinéma, le patient n'est qu'un mannequin d amphithéâtre, un cadavre de pellicules photographiques. L'opération devient une distraction de tout repos. Il ne subsiste du lyrisme qu'une forme vide sans réelle vertu poétique.
Mais parmi toutes les techniques, il en est une qui n'est point spéciale au cinéma et dont le prestige est loin d'être épuisé. Je veux dire : la raison. Nous lui sommes redevables du style « artiste français ».
En peinture, tout le monde sait ce que signifient les mots « artiste français ». L'expression est commode et il convient d'en généraliser l'emploi. On peut dire que relève du style « artiste français » toute œuvre dont la signification est entièrement réductible en termes de raison.
Lorsque Jean-Paul Laurens peint l'excommunication d'un Chilpénc quelconque, si les souvenirs que j'ai du Larousse mensuel sont exacts, on peut lire sur son tableau le récit de tout ce qui s'est passé, et, plus que de faire de la peinture, 1 ambition de l'auteur est de nous donner ces renseignements. Le cierge jeté au premier plan de la toile doit avoir une signification liturgique. Je l'ignore, mais ça n a pas d'importance. La possibilité de l'explication suffit pour justifier le cierge.
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