La Revue du Cinema (1931)

Record Details:

Something wrong or inaccurate about this page? Let us Know!

Thanks for helping us continually improve the quality of the Lantern search engine for all of our users! We have millions of scanned pages, so user reports are incredibly helpful for us to identify places where we can improve and update the metadata.

Please describe the issue below, and click "Submit" to send your comments to our team! If you'd prefer, you can also send us an email to mhdl@commarts.wisc.edu with your comments.




We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.

Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.

l'hostilité qui semblait fondre sur lui, il découvrit, à la table immédiatement voisine, une chaise vide; il n'avait qu'à s'asseoir. Il souleva son chapeau et demanda : — Vous permettez? Il attendit un moment la réponse, puis il se laissa tomber sur la chaise. Aussitôt, il se senrit noyé dans la foule, déchu de sa condition exceptionnelle. Pour l'instant, personne ne lui prêtait la moindre attention. La musique avait repris; ses voisins chantaient avec le piano. Unrat essuya ses lunettes; il tentait en vain de se sentir à l'aise. Il apercevait à travers la fumée des pipes et a buée des verres d'alcoo , d'innombrables têtes aux visages et aux cheveux rouges, jaunes, bruns et oranges, qui oscillant de droite et de gauche, au gré de la musique, vides de pensées, appesant s par le bien-être, comme un grand parterre bariolé de tulipes me inées par le vent, se balançaient d'un bout à l'autre de la salle, pour aller se perdre enfin là-bas dans la fumée. Mais là-bas une chose étincelante réussiosait à passer au travers de a fumée, une chose remuante et impétueuse qui projetait alentour des bras, des épaules ou des jambes, des lambeaux de chair éblouissa te, violemment éclair s par un réflecteur; e visage semblait déchir, par une grande bouche sombre. Le piano, soutenu par la voix des chanteurs, ne permettait pas d'entendre ce que cette créature chantait. Elle exhalait par moments des sons tem s. bon aspect semblait à Unrat aussi criard que sa voix. L'aubergiste po^a un verre devant Unrat et voulut passer son chemin. Unrat le retint avec force par le pan de sa veste. — Dites-moi donc, l'homme, est-ce que cette chanteuse ne serait pas la demoiselle Rosa FrJich? — Ben oui, c'est elle. Vous pouvez être content de vous trouver là ! Et r homme s éloigna. Unrat souhaitait contre toute logique que ce ne fût pas elle; pour être relevé de cette tâche difficile, il aurait souhaité même que l'élève Lohmann n'eût amais mis les pieds dans cette maison. Il entrevit brusquement la possibilité que le poème du cahier de devoirs de Lohmann ait été pure fiction, sans aucune correspondance avec a réalité, et que la demoiselle Fr ncb n'eût peut-.tre aucune existence réelle... Unrat se cramponnait à cette pensée lénifiante, et il s étonnait d'avoir mis si longtemps à L découvrir. Il but une gorgée de bière. Son voisin dit « Prosit » (1). C'était un vieil habitant de la ville, sa veste s'ouvrait largement sur une chemise de laine qui recouvrait son torse. Unrat de son coin, l'observa longuement. Le bourgeois but un peu et passa une main probe sur ses moustaches grisonnantes et humides. Unrat poursuivit : — Alors, c'est bien Mlle Frdich qui vient de nous chanter quelque chose, n'est-ce pas, brave homme ? Mais la chanteuse venait de terminer son morceau et les applaudissements éclataient. Unrat dut attendre pour réitérer sa demande. — Fr lich, dit l'homme, mais, monsieur, comment voulez-vous que je connaisse les noms de toutes les filles qui sont ici? Unrat voulut r torquer que son nom était pourtant affiché à l'extérieur, mais le piano reprit un peu plus doucement et cette fois il put discerner les mots que h femme multicolore, relevant ses jupes, soulignait d'une expression tantôt rusée, tantôt pudibonde : ... J'suis si p'tite et si innocente Unrat trouvait la chanson bien stupide, et absurde la réponse qu'il avait reçue de son voisin. Sa mauvaise humeur allait grandissant, il avait 1 impression d être précipité dans un monde qui était la négation même de ses fréquentations habituelles, il éprouvait une secrète répugnance pour fous ces gens qui assistaient à un concert sans même prendre connaissance d'un programme imprimé ! Il était rongé par le sentiment que plusieurs centaines de personnes se trouvaient là qui <! n'observaient rien >», qui ne « pensaient pas clairement » mais s'enivraient plus volontiers et s'adonnaient sans vergogne aux plaisirs les plus vains. Il but à longs traits : " S'ils savaient qui je suis 1 pensait-il, tandis que, dépouillant peu à peu le sentiment de sa dignité, il s'abandonnait doucement à une indulgence, une mansuétude confuses et qu'il sentait son sang s'échauffer au contact de toutes ces moteurs humaines. Le monde se fondait dans d'épaisses fumées: il se composait de visages incertains... Unrat passa la main sur son front II lui semblait que cette femme là-bas, avait chanté plusieurs fois qu'elle était " si p'tite et si irrocente >■; maintenant, elle avait fini. La salle applaudissait, trépignait, l'acclamait, poussait des cris de joie. Il se mit lui aussi à applaudir brusquement tandis qu'il contemplait avec étorrerrent le rrcv\errent de ses propres mains. Il éprouvait une envie grandissante, inconsidérée et presque indomptable de taper aussi du pied sous la table. Il eut assez de force pour résister, mais cette velléité ne l'avait pas effrayé. Il souriait aux anges et mettait en fait que, oui certes, « C't:t la vie. Brouter l'herbe \eit< ... oui assurément » ajouta-t-il. La chanteuse se répandit dans la salle. Une porte s'ouvrit à côté de l'estrade. Unrat comprit, dans un éclair, que quelqu'un le regardait ce là-Las. Ln seul être avait les yeux fixés sur lui, et qui riait largement, c'était — mais oui . — ce n'était personne d'autre — c'était l'élève Kieselack ! (\) A la titre, en / 1 eir.agn; e. ei Europe centralr. 72