La Revue du Cinema (1931)

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La porte s'était refermée. Unrat était seul avec Rosa Frolich. La tournure des événements l'inquiétait et il parcourait toute la chambre du regard. Des mouchoirs souillés jonchaient le sol, depuis la psyché ornée de bouquets de fleurs jusqu'à la table à côté de laquelle il était assis, et qui était chargée de bouteilles de vin, de nombreux flacons et de toutes sortes de boîtes de pommade qui répandaient leurs parfums. Les verres étaient posés sur du papier à musique. Unrat éloigna peureusement le sien du voisinage d'un corset que la grosse Guste avait posé là. Tout en cousant, Rosa Frolich avait posé son pied sur une chaise couverte de vêtements extraordinaires. Unrat n'osait pas la regarder, mais le miroir auquel il faisait face lui renvoyait son image. 11 vit alors pour la première fois, à son grand émoi, que ses longs, ses très longs bas noirs, étaient brodés de violettes mauves. Pendant un très long temps, il n'osa plus regarder. Puis il découvrit avec épouvante que, — sa robe de satin bleu ne montant pas jusqu'au creux des aisselles, — entre des mailles de filet noir, dans !e creux de son bras, chaque fois qu'elle faisait le mouvement de tirer son aiguille quelque chose de blond appara'ssait. Unrat cessa de regarder... Le silence l'oppressait. Au dehors, le calme était revenu. On entendait seulement le bruit intermittent et la plainte rauque et grasseyante de deux corps épuisés par l'effort. Un silence accablant, marqué seulement par le gémissement et le cliquetis d'un métal qu'on aurait ployé, le murmure indéfinissable de la respiration d'une foule. Soudain, le mot « Allez », deux lourdes chutes très rapprochées et, parmi les applaudissements qui crépitaient des : « Tonnerre de Dieu ! » des « Eh ! va donc ! » — C'est fait, dit Rosa Frolich, en retirant son pied de la chaise. Elle était prête. Mais vous? Vous ne dites plus rien? Unrat aurait bien voulu la regarder mais elle le déconcertait par sa disparité. Ses cheveux rouges, un peu roses, presque mauves, étaient retenus dans un diadème vert incrusté de verroterie. Les sourcils, surplombant des yeux d'un bleu dur, étaient très noirs et hardis, mais l'éclat de sa figure aux couleurs bariolées, rouge, azurée, nacrée, avait été terni par la poussière ambiante. Sa coiffure était tout affaissée et semblait avoir perdu dans la fumée de la salle quelque chose de son rayonnement. L'écharpe bleue nouée autour de son cou semblait fanée et les fleurs d'étoffe épinglées à sa robe inclinaient leurs têtes mourantes. Ses souliers vernis étaient écaillés, ses bas parsemés de taches et la soie de sa robe trop courte était moirée par l'usure des plis. Malgré la poudre de riz qui s'envolait à chaque mouvement un peu vif, la chair gracile qui arrondissait ses bras et ses épaules semblait consumée par 1 usage. Unrat se sentait déjà familiarisé avec le visage hautain de Rosa Frolich, avec ses traits hostiles sur lesquels elle avait jusqu'alors tenté de répandre un peu de douceur. Elle éclata de rire, sur le monde, sur elle-même. — Et tout à l'heure, vous étiez si loquace ! dit-elle. Cependant, Unrat prêtait l'oreille. Soudain il bondit, lourdement, comme un vieux chat. Rosa Frolich s'esquiva en poussant de petits cris. Unrat, d'un seul coup, ouvrit la fenêtre rouge... Non, cette tête, dont il avait aperçu les contours derrière le rideau, avait déjà disparu. Il revint sur ses pas. — Vous faites peur au monde ! dit-elle. Mais lui, sans s'excuser, poursuivait son idée. — Vous devez connaître de nombreux jeunes gens de la ville? Elle se déhancha légèrement et, pivotant de droite et de gauche : — Je suis polie avec tous ceux qui sont courtois à mon égard. — Oui, certes, je pense bien, et les élèves de notre collège doivent avoir d'excellentes manières ? — Non ! mais est-ce que vous croyez que je passe mes journées assise avec toute la horde de vos élèves? Vous prenez ma loge pour un jardin d'enfants ! — Encore une fois, je m'en garderais bien. Puis il avança, d'une voix persuasive : — Ils portent d'ailleurs, pour la plupart, des casquettes ! — Au moins quand ils portent des casquettes je les reconnais, et puis on n est pas tout à fait dénué d'expérience ! Il ajouta très vite : — Non, pour sûr ! Elle répliqua, aussitôt sur ses gardes : — Comment l'entendez-vous, je vous prie? — Je veux dire l'expérience de la vie ! Frappé de crainte, il tendit vers elle une main pacifique. — ...l'expérience de la vie. Tout le monde ne l'a pas; elle est cruelle et amère ! Comme il désirait continuer à se concilier ses faveurs, comme il voulait se rapprocher d elle — elle pourrait lui être utile — et comme elle lui inspirait une grande frayeur, il voulut abandonner quelque chose de lui-même; cela ne s'était jamais vu. 75