La Revue du Cinema (1931)

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Depuis lors, il préparait sa « tête " avec une telle minutie qu'elle n'avait plus besoin da plonger ses doigts dans aucun récipient. Elle s'étonnait de tant d'adresse et cherchait à savoir comment il avait pu l'acquérir aussi vite. Il rougissait alors et balbutiait quelques mots, mais sa curiosité restait inassouvie. Unrat se félicitait d'avoir pris une importance aussi significative : Lohmann ne devait plus espérer le supplantei. Lohmann se serait-il rappelé, lui, qu'il fallait envoyer le boléro rose au teinturier? Oui, s'il avait bien voulu consentir à exercer sa mémoire par l'étude laborieuse des vers d'Homère ! Maintenant, il pouvait mesurer les conséquences de sa paresse !... Et, semblable à une grande araignée sombre aux membres déliés, Unrat évoluait avec agilité parmi les pièces de linge blanc, éparpillées sur le sol et sur les meubles. Les étoffes moelleuses glissaient en bruissant entre ses doigts maladroits et noueux. Des chiffons • affectaient parfois la forme, gardée en secret, d'un bras, d'une jambe, Unrat les contemplait avec embarras. Puis, il se faufilait jusqu'à la fente de la porte et couvait des yeux celle dont la voix stridente sifflait sous les grondements du piano et dont las membres bondissaient à travers la fumée. Il contemplait ces visages imbéciles qui, comme un parterre de tu ipes inc inées par le vent, 'a regardaient bouche bée. Il était fier d'elle, il méprisait la salle quand elle applaudissait, il la prenait en haine lorsqu'elle restait impassible, et il lui vouait un sentiment étrange quand elle gloussait de joie parce que Rosa Fr^lich en se penchant, offrait généreusement aux regards l'ouverture de son corsage. Alors, Unrat endurait mille tortures... Enfin, dans un tonnerre d'applaudissements, elle revenait vers la porte et Unrat jetait un manteau sur ses épaules ou lui poudrait légèrement le cou. Il apprit ainsi à connaître ses sautes d'humeur. Selon qu'elle présentait les épaules avec grâce ou qu'elle l'aveuglait en lui envoyant la boîte de poudre en pleine figure, Unrat passait une bonne ou une mauvaise heure. Ses regards fouillaient, sur ce corps féminin, bien au delà des surfaces dénudées par l'échancrure des costumes. Il parvint même à penser que les fards et les onguents laissent parfois transparaître l'âme humaine, que le maquillage ne compte pas beaucoup moins que les qualités de l'âme... Rosa Fri-lich lui témoignait tantôt de l'impatience, tantôt de l'affabilité et il était tout déconcerté lorsque, par un brusque revirement, elle dépouillait sa bonne humeur. Il se sentait plus à l'aise quand elle grondait... De tempa à autre, il lui venait à l'idée que quelque chose dans la façon d'être d'Unrat l'ennuyait. Elle acceptait alors sans conviction tous les enseignements qu'elle recevi,t de lui. D'autres fois, elle s'inclinait vers lui avec une pointe de sentimentalité, et faisait mine de s'asseoir à ses pieds; la mine qu'on affecte auprès d'un homme sérieux. Mais bientôt elle le repoussait de sa chaise comme un paquet de linge, et Unrat, sans savoir exactement pourquoi, se sentait soulagé. Un jour même, elle lui donna une gifle. Puis, retirant brusquement sa main, elle la regarda, la huma, et déclara, pétrifiée : — Mais, vous êtes tout poisseux ! Il rougit, sans défense. Elle éclata : — Il se farde! Et voilà pourquoi il a appris aussi vite ! Il s'exerçait en secret sur lui-même! Oh ! vous... Unrat ! Unrat prit une figure épouvantée. — Oui, parfaitement, Unrat ! Elle dansait autour de lui. Alors, il sourit avec bonheur... Elle connaissait son nom, sans doute l avait-elle toujours connu; elle le tenait de Lohmann et des autres : la joie le bouleversa t bien plutôt que le chagrin. Il était si joyeux que Rosa FrJich lui ait donné ce nom insignifiant qu'il en eut un peu honte. Mais, enfin, il était heureux ! A quoi bon, sur le moment, chercher plus loin... Ce soir-là, Unrat ne se contenta pas de commander la bière; il alla quérir le patron à l'autre bout de la salle et convoya lui-même le plateau chargé de verres, pour qu'on ne les pr.t pas en route. — Prosit, Unrat, dit Rosa Fr^lich avant de boire. Puis, après un temps: — Est-ce assez drôle que je vous appelle Unrat ! Oui, comique, en vérité. Nous n'avons pourtant rien de commun. Depuis quand nous connaissons-nous? La force de l'habitude... Mais je dois vous dire quelque chose : on peut soustraire à ma vue Kiepert et sa femme, je ne verserai pas une larme. Avec vous, c est autre chose... Ses yeux, peu à peu, devinrent rêveurs et immobiles. Puis, elle ajouta, l'air pénétré : — Et puis après?... A quoi bon? Heinrich Mann. ( A suivre. ) 80 Paris. — iinp. PAUL DUPONT \Cl.). —33.12.30. Le Gérant Kubekt Cabv