La Revue du Cinema (1931)

Record Details:

Something wrong or inaccurate about this page? Let us Know!

Thanks for helping us continually improve the quality of the Lantern search engine for all of our users! We have millions of scanned pages, so user reports are incredibly helpful for us to identify places where we can improve and update the metadata.

Please describe the issue below, and click "Submit" to send your comments to our team! If you'd prefer, you can also send us an email to mhdl@commarts.wisc.edu with your comments.




We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.

Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.

II Ce scénario donne à Jean de Moravie une figure plus précise et plus nuancée que ne fait la pièce. On y voit beaucoup mieux transparaître sa véritable réalité. On a dit quelquefois que Moravie était un personnage romantique. C'est une opinion moins fausse qu'insuffisante. Moravie est bien davantage qu'un romantique égaré dans notre société. Il est exactement le dernier des citoyens. Toutes les leçons que nous avions reçues de nos aînés, de nos maîtres, disaient : « Enfants, faites votre possible ! » Vigny nous avait répété la loi stoïcienne : Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche, Dans la voie où le sort a voulu {appeler. Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. Le fils de l'ouvrier, à l'école, apprenait ces vers et retenait pieusement les leçons de devoir civique que le maître avait mission de lui inculquer. Le maître les héritait lui-même de ses maîtres, et ceux-ci les avaient reçues des écrivains, des poètes, des penseurs, de tous ces grands vertueux qui, depuis Montesquieu jusqu'à Michelet, jusqu'à Péguy, Romain Rolland, nous répétaient l'antienne sacrée: « Faites votre devoir, et advienne que pourra ! » De sorte que l'artisan mettait son honneur à devenir le meilleur artisan, à fignoler la besogne, l'ingénieur à parfaire ses projets, à les exécuter avec un soin où il usait sa vie. Et le citoyen songeait : « Devenir les citoyens désintéressés de l'Etat, c'est donner à l'Etat le support de notre vertu, c'est faire enfin du pays la maison de l'honneur, c'est rendre la Patrie digne de l'amour universel. C'est assurer le triomphe moral de la Démocratie. » Quelques dizaines d'années ont passé. Le fils de 1 ouvrier est devenu ouvrier lui-même. Il regarde autour de lui. Il voit ce que les maîtres du monde ont fait de son formidable labeur. L'ingénieur relève la tête : il compte les morts causées par ses aciers, ses moteurs, ses éprouvettes, Le citoyen, lui... Le citoyen, pendu par les poignets, la figure convulsée de douleur, découvre maintenant qu'il a été la dupe du marché, qu'il a travaillé à sa perte, qu'il a eu tort d'écouter les sirènes de la vertu. Le chanteur Marsyas, avec sa tête rond~ et tondue de paysan, son application, sa bonne foi, sa loyauté, sa conscience picf-jssionnelle, le pauvre chanteur expire et il laisse à ses enfants cette leçon suprême : « Faites-en le moins possible ! Le monde entier s est tourné en une gigantesque affaire. Qui y va de son voyage ne perd plus seulement son corps, perd encore son âme. Le devoir est devenu un piège, la conscience une trappe. Ne croyez plus en personne. Ils mentent tous. Toutes choses aujourd hui se tarifent et se vendent. L'estime, l'honneur et l amourpropre ne sont plus que des aiguillons qui nous font marcher pour les intérêts d'une firme, d'un cartel, d'un parti, d'une patrie. » Voilà le drame de l'homme nouveau. Gorki l'a exprimé en deux phrases sanglantes : « La vie est organisée avec une habileté si diabolique que si l'on ne sait pas haïr, il est impossible d'aimer sincèrement. A elle seule, cette nécessité du dédoublement de l'âme, qui dénature foncièrement l'homme, cette loi de l'amour à travers la haine, condamne la vie à la destruction. » Cette vérité n'apparaît pas à toutes les époques aussi crûment. Il y a, dans la vie de l'humanité, des ères de foi et d'illusions, durant lesquelles cette réalité profonde demeure ensevelie. 34