La Revue du Cinema (1931)

Parmi les pays qui nous entretiennent de fantômes, repoussons l'Amérique qui nous les présente pour rire. Ses fantômes sont lourds et leur drap cache mal des bottines de deux couleurs. Le mystère, pour elle, c'est une devinette. Une histoire de revenants, c'est un roman policier. Et un fantôme, c est un gangster. Le Mystère de la chambre jaune et Le Spectre vert, films français, sont, d ailleurs, de son inspiration. Elle accouche parfois de vrais fantômes, mais après avoir joué quelque temps avec eux et contrefait la malade, elle les tue et les mange comme une chatte qui n'admet pas d'enfants noirs. Jadis, elle a été inoculée par Edgar Allan Poe. Mais, comme une femme saine, elle a réagi et n'en a conservé que la vaccination. La vieille Europe, elle, a bu avec délices ce poison qu'elle aime et qui va galvaniser mille sensibilités pathologiques qu'elle entretient avec ferveur. L'Amérique est à 1 âge bête, où l'on ergote, où l'on explique tout, où l'on croit tout savoir. Elle n'est plus assez jeune pour tout craindre, pas assez vieille pour avoir vu qu il fallait craindre. Laissons. Ses ferments couvent. La jeune Russie ne nous entretient pas de fantômes. Elle n en a pas encore enfanté de neufs et ne veut pas avouer qu il lui reste quelques vieux intuables qui faussent parfois la saine et vigoureuse chanson de ses films. Mais, le petit fantôme qui affola Bons Godounow agite encore dans ses mains un beau jouet d'enfant. Mais l'ivresse dyonisiaque qui fait danser le paysan dans la brillante poussière de La Terre n est pas loin des divagations des Karamasow. Mais la danse du petit moine dans Ivan le terrible ressuscite plus de choses suspectes qu'elle n'en détruit. Un jour, par la science et la chimie, la Russie découvrira un fantôme et nous le clouera sur la table de dissection, en cherchant à l'aiguille électrique ce qu'il aura de moins qu'un vivant. La France a des fantômes, anciens emmurés du germanique Moyen Age et qu elle mène rudement. Au reste, ils sont devenus gais et se conduisent en bons vivants, soufflent les chandelles, violent les servantes et grignotent le pain dans la huche. C'est Le Fantôme du MoulinRouge qui habille les statues, fréquente les dancings et ne se fâche que lorsqu'on veut découper son corps qu il compte bien rendosser quelque jour. Comparez le fantôme désobéissant à son maître ridiculisé, avec le même sujet : Césare et Caligari ! C'est le mort heureux de Entr acte qui, ressuscité et possesseur de la baguette magique, fait disparaître chaque personnage à tour de rôle, et jusqu à lui-même... C'est le clerc du Voyage imaginaire qui, au plus fort d'un rêve de guillotine, éclate de rire en revoyant l'étude transportée au bord d'un lac délicieux et garde un optimisme bien latin car il sent que rien de cela n'est vrai. Le Chien andalou de Bunuel est plus troublant, l'homme est dédoublé. Quand nous le voyons, il se voit aussi. A chaque instant, une de ses apparences lui manque. Cet être frêle qui pédale à bicyclette ne peut pas vivre. Cet autre qui veut la femme est impuissant. Dans le champ où il va se suicider, ses deux moitiés se rencontrent, et quand il tire, elles se réunissent. Le revenant incertain à la bouche effacée, c est encore un fantôme, et cette fois, d'un mort. La femme le chasse et le film finit. Mais quelque chose de lui, en nous, reste et geint. La vraie Shadowland, ce sont les pays germaniques, c'est-à-dire, les états du nord et l'Allemagne. Nous avons reçu d'eux des histoires fantastiques, si diverses d interprétation et de réalisation que nous devons les séparer dans notre esprit 34