La Revue du Cinema (1931)

Dans le malheur, l'homme est toujours seul. M. Sapëne, à temps, avait pris congé de M. Natan. Les banquiers BauerMarchai considéraient sans aménité cet importun client. De petits journalistes écrivirent des articles sur le pillage de l'épargne. Certes, M. Natan avait toujours la majorité des voix, mais certains pédants déposèrent au Parlement un projet de loi interdisant les actions à vote plural. M. Natan ne réussit pas à acheter l'Emelka — les Allemands exigeaient de l'argent et la banque Bauer-Marchal s'était prononcée contre cette opération. M. Albert Cohan, qui assistait M. Natan au cours des pourparlers, se trouva sans emploi. La date de l'assemblée générale approchait. M. Natan se démenait — comment admettre que le film finît mal?... C'est contraire aux habitudes du Cinéma, c'est contraire aussi aux habitudes de M. Natan... Gaumont-Aubert-Franco-Film aurait pu se réjouir — son concurrent était sinon terrassé, du moins grièvement touché. Cependant, il n'y avait pas lieu de se réjouir : une pierre, en tombant, en entraîne une autre. Les bijoutiers parisiens sont prêts à fermer boutique. Les boulangers ont beau jeu, leur commerce marche toujours! Mais les diamants ne sont pas des petits pains. Les clients sérieux sont ruinés, personne n'achète plus les brillants d'une eau pure ni les colliers de M. Rosenthal le Roi de la Perle, ni les émeraudes de Colombie. Gaumont-Franco-Film ne vend pas de pierres précieuses mais le sort de cette firme est étroitement hé au sort des diamants : ils sont soutenus par une seule et même banque, la Banque Nationale de Crédit. Le directeur de Gaumont-Aubert-Franco-Film dut apprendre ce qu'est la descente aux Enfers. Il marchait, s'efrorçant de regarder sur ses côtés. Mais devant lui, miroitait constamment le dos voûté de M. Natan. M. Meyer, le secrétaire général de Pathé-Natan, envoie aux journaux des notes rassurantes. La société ne connaît aucune gêne. Succès sur succès! Les exigibilités s'élèvent à 20 millions seulement alors que nous avons 90 millions de disponibilités. Nous sommes en pleine prospérité! La Bourse cependant ne croit pas aux chiffres, la Bourse ne croit qu'au grand dieu de tous les boursiers et à son propre flair. Les actions Pathé-Natan tombent, Ce n est plus une brise légère, c'est la bourrasque. Les actions volent; volent aussi les légères destinées humaines. Aux usines Pathé-Natan, la vedette du jour, soupirant après Hollywood, hurle toujours : « Pierre, je t'aime! » Dans les 64 salles on passe toujours L'Enfant de l'amour et Je t'adore, mais pourquoi? Drames émouvants pour midinettes et commis anémiques. Ni les midinettes, ni les commis ne jouent à la Bourse. Ils peuvent pleurer sur les souffrances d on ne sait quel Pierre. M. Natan ne pleure pas : la vie l'a trempé. Il se détourne seulement d'un air sombre lorsqu'il longe les panneaux de publicité : sur tous les murs de Paris, les affiches de PathéNatan — des affiches ordinaires prouvant la valeur des films, mais il semble à M. Natan que ce sont des annonces funéraires. Il est prêt à ôter son chapeau. Il ne croit plus à l'avenir de la cinématographie française. Il ne se dispose plus à faire une entrée de vainqueur en Allemagne. Il est emporté dans le tourbillon comme un feuillet de bloc-notes sur les larges marches de la Bourse de Paris. Pas un jour sans une baisse des actions Pathé-Natan. Après 262, 153. Où est M. Natan? Personne ne l'a vu aujourd'hui... Quelqu'un qui joue à la baisse a répandu ■des bruits stupides : M. Natan serait en fuite!... Les petits joueurs veulent, au plus vite, se débarrasser de leurs mauvaises cartes. Autour du mot Pathé, comme autour 2 17