La Revue du Cinema (1931)

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Le soir-même de ses noces, il tombe du lit et meurt, la jeune veuve achète un saule pleureur et le film est fini, mais le cinéma recommence, c'est les actualités. Un corbillard passe avec un maréchal mort dedans, derrière lui des maréchaux vivants et de chaque côté la foule qui attend. Tout est triste, la rue est noire de monde, les réverbères, les chevaux sont en deuil, personne ne rit franchement, personne ne jette dans les roues du corbillard le bâton du maréchal, et l'enterrement sort du champ. La musique change et sur l'esplanade des Invalides, un ministre long comme une perche à houblon et qui porte sous les yeux des poches qu'on pourrait y mettre un mouchoir, inaugure un drapeau de lavoir. Il y a des hommes-troncs, des vieilles femmes, des boy-scouts, des zouaves d'autrefois et des petits jeunes hommes de famille. Fondu, c'est un ministre, un autre, un petit avec une redingote verte qui visite les abattoirs: on lui présente un nouvel appareil à tuer les animaux. Il hoche la tète en connaisseur, c'est un appareil de tout repos, mais il n'est pas tout à fait au point, la bête s'y reprend à plusieurs fois pour mourir... On coupe sur le ministre de la Marine, à Brest, près de lui une dame de la ville sourit dans son bec de lièvre et brise une bouteille de Champagne sur un nouveau croiseur. Le ministre prend la parole, fait les lapsus d'usage, montre le poing en parlant de la paix, et cède la place à la célèbre poétesse qui raconte on ne sait trop pourquoi une histoire de vieux marronniers parisiens et reçoit, en présence de trentedeux invités cultivés, le grand cordon de police. Et puis c'est une fanfare d'enfants martyrs, ou le Congrès eucharistique de Liège, ou bien la promenade des mères américaines qui vont en autocar visiter l'ossuaire de Douaumont. Et puis c'est tout, rien d'autre, tout est admirablement agencé, les studios sont peuplés de malheureux fantômes artistiques qui se dandinent un bœuf sur la langue en traînant avec élégance le boulet doré de leurs salaires provisoires et le bon goût, la claire logique française du cinéma français, du cinéma des frères lumières, resplendit comme un grand éteignoir. Tout va bien, quand une dame du monde boit dans une tasse, qu'importe si les dents de la dame sont cariées, la tasse est une véritable tasse : on entend son bruit sur la soucoupe. Le piano est un véritable piano et les grenouilles qui sortent de la bouche de la dame sont de véritables grenouilles avec de véritables imparfaits du subjonctif. Tout est au point. Et si ces discours, si ces histoires qui se déroulent sur la toile avec un mauvais bruit de chasse d'eau vous font lever le cœur, comme le dentiste vous fait lever le cœur lorsqu'il porte à ses narines un petit coton malade, vous n'avez qu'à rester chez vous, au coin du feu, avec un bon livre, car les livres sont faits pour ceux qui les lisent, c'est-à-dire pour quelques-uns. Tandis que le cinéma qui s'adresse à tous les hommes, si on laissait passer son flot d'images vivantes, ces nommes pourraient se voir, se reconnaître, comprendre leur force et leur véritable « grandeur naturelle , et se lever, sortir, et s'unir pour composer leur programme eux-mêmes. Mais seuls les aisés, les installés peuvent se permettre de manifester et de protester i du point de vue artistique lorsque le film qu'on leur montre n'est pas à leur goût, lorsqu'ils ne sont pas contents de la qualité du dialogue, lorsqu'ils trouvent qu' ■ après tout ces films américains sont vraiment d'une insignifiance »..., ça s'arrange au contrôle entre compatriotes. Tandis que dans une salle de cpiartier. lorsqu'un homme se lève le samedi soir pour protester, sa femme le tire par la manche parce qu'elle sent bien qu'on va l'assommer. Et l'homme se calme, et puis tout de même parce qu'il s'ennuie trop, parce qu'il sent qu'on le dupe et que ceux qui lui ont dit que seuls les pharmaciens et les chefs de bureaux avaient le droit de parler, de critiquer, de s'exprimer, sont des menteurs, il pousse un long cri ironique et monotone : Oreillers, couvertures! » Quelques voisins qui veulent savoir pourquoi le jeune compositeur ne dit pas qu'il est compositeur au père de la jeune fille sportive, réclament le silence. Mais d'autres qui sentent bien qu'on se fout d'eux hurlent à leur tour : • Oreillers, couvertures! • ou bien • tue-le! » « attention au biscuit », et poussent des cris d'animaux. Ils font des bruits avec la bouche, ils lisent le journal, ils agitent leur strapontin, ils sont tous ensemble, ils s'expriment. 57