Le Courrier du Cinéma (avr 1938)

20 LE COURRIER DU CINEMA Jean-Pierre Aumont le jeune vainqueur une crinière magnifique, de beaux yeux qui vous regardent sans méfiance, des gestes un peu patauds, et un rire d’enfant, aux éclats sans contrainte. Mais ce brave chien est dressé, très bien élevé, civilisé. On a l'impression qu'il va vous donner la patte. Pas du tout! 11 vous baise la main. Il fait le beau sans effort, gentiment préoccupé de plaire à tout le monde et à n'importe qui, soucieux de ce qu’on dira de lui quand il aura le dos tourné. IE a une bonne gueule de chien fou, avec “Comment me trouve-t-il?... Est-ce qu’il t'a parlé de moi?... A-t-il dit que j'avais du talent ?... Crois-tu qu’elle me méprise ?... Ai-je des chances de lui plaire ?” Mais toutes ces questions sont posées avec tant de juvénile sincérité qu’elles sont loin d’être odieuses et qu'elles le rendent au contraire sympathique. Car Jean-Pierre n’est pas tellement préoccupé de lui-même; il est surtout préoccupé de l'opinion qu’on à de lui. Il y a une nuance. Il a besoin que l'humanité entière l'adore, sans distinction. L'opinion de sa marchande de journaux a pour lui autant d'importance que celle d’un directeur. Désespéré à la lecture d’un extrait de presse moins agréable que les autres, il est ulcéré au même degré s’il apprend que sa concierge l’a trouvé moins bien dans son dernier film. Toutes les lettres d’admirateurs ou d’admiratrices qu’il reçoit il les épluche d'un œil attentif, d’une main tremblante, essayant de lire entre les lignes de la plus banale demande d'autographe des intentions qui n’ont jamais existé. La destinée de Jean-Pierre Aumont semble tenir du prodige et son histoire — si brève car il est très jeune — a l'air d’un conte de fées... N'est-il pas l’un des jeunes premiers français les plus en vue? Il est beau... Blond, grand, un profil de jeune dieu, un corps fin et musclé, une voix grave, et du talent à revendre... Le plus étonnant, c’est que, comblé de tous ces dons, il ne soit pas tombé dans une fatuité qu’excuserait pourtant sa jeunesse. Il a vingt-trois ans... Mais non, Jean-Pierre Aumont, sans affectation aucune, parle de son métier, de ses lectures, de ses préférences littéraires, théàtrales et cinématographiques. On devine cet adolescent animé d’une foi, d’un enthousiasme et d’un contrôle de soi qui le rendent infiniment sympathique. Il débuta, à l’Athénée de Paris, dans Romance. remplaçant Paul Bernard pendant que celui-ci était en tournée. (Comme il n'avait pas vingt ans, on le vit d’abord sous une longue barbe d’aïeul. Mais, dès après le prologue. il reprenait son vrai visage. A ]a fois timide et assuré, charmant de gaucherie et de sincérité dans la robe noire du jeune pasteur, avec ses cheveux dorés, son zèle, son ardeur et sa façon de pleurer, vraiment c'était comme un enfant... Toutes les qualités qu’a Jean-Pierre Aumont, jusque dans ses défauts, cette fougue, cette espèce d’impatience à se ruer sur le texte, il les a conservées, heureusement... Chaque rôle nous le révèle plus discipliné, plus adulte, avec une autorité plus affirmée. Mais le métier, chez lui — et c’est une chance — ne détruit pas le tempérament. CENTRAL BOWLING ACADEMY A votre disposition 11 ALLEES DE QUILLES Votre visite sera toujours appréciée. C'est Alfred Savoir qui découvrit le vrai J. Berry N peut dire de Jules Berry, mauvais O sujet sympathique et séducteur plein d'ironie, qu'il est né pour le théâtre. Pendant dix ans, en effet, il connut les plus grands succès sur la scène, où il joua justement ce type d’un irrésistible dont r'évent les jeunes filles et les femmes. Il n'y a pas d'artiste qui ait reçu autant de déclarations que lui et ce diable d'homme n’a pas recu que des lettres dans sa vie, mais des fleurs, des étuis à cigarettes et des boutons de manchettes en quantité. Mais il ne faut pas croire que tout a été facile pour lui: c'est un grand travailleur, et la chance ne vient en définitive, qu'à ceux qui la méritent. Avant d’être la vedette incomparable des théâtres bonbonnièéres d'après-guerre, Jules Berry fut longtemps un comédien obscur qui jouait quarante pièces par an à Bruxelles ou dans des tournées de province. Il créa un rôle dans le Mariage de Mlle Beulemans et il ne se doutait pas alors qu'avec sa blonde partenaire Suzy Prim, il ferait courir tout Paris. Sa véritable chance au théâtre fut sa rencontre avec Alfred Savoir, qui trouva en lui l'interprète idéal de ses comédies amèrement gaies et le plus souvent cyniques. Puis vint la crise, la désaffection du public pour les pièces superficielles, où l’on jonglait avec l'amour, l'argent et l'honneur. Pendant quelques années, on ne vit plus guère Jules Berry au théâtre. Il joua cependant toute une saison dans la Chauve-souris, au théâtre Pigalle; mais cet acteur si original attendait l’occasion de conquérir à l'écran une place digne de lui, c’est-à-dire comparable à celle qu'il avait occupée au théfître. Ce fut long. Depuis longtemps, a-t-il raconté, il était tenté par le cinéma, mais, au temps du muet, les artistes Jules BERRY 405 est, rue Ste-Cath 18) MONTREAL | PHILIPPE JORON Automobiles Usagées, Parties Usagées, Pneus de toutes sortes Tél.: FRontennc 2484 | Rés.: 3670, St-André du théâtre étaient tenus à l'écart des studios. On les rendait responsables du comique involontaire des vieux films de jadis; on leur reprochait leur mimique et leur abondance de gestes, Que de fois il avait proposé à des metteurs en scène de porter à l'écran une pièce qu'il avait créée; ils trouvaient toujours de bonnes excuses pour expliquer gentiment que ce n'était pas possible. Et, pendant ce temps, les Américains obtenalient les droits de reproduction de ces mêmes pièces; on les assaisonnait à la sauce d'Hollywood et le tour était joué. Mais les acteurs, eux, ne s'y trompaient pas. Et chaque fois qu’Adolphe Menjou, ou Robert Montgomery venaient à Paris, ces artistes qui, là-bas, avaient résolument adopté son genre, ne manquaient jamais d'aller le voir. C'est absurde peut-être, mais c’est ainsi. Pendant que Jules Berry faisait école en Amérique, les producteurs continuaient de l'ignorer en France. Quand on réalisa en France la Couturière de Lunéville, le rôle de Berry fut confié à Pierre Blanchar, un grand comédien, c’est vrai, mais dont les qualités sont exactement opposées à celles du créateur de l'oeuvre. “Si bien, a dit spirituellement Jules Berry, que les spectateurs qui se rappelaient la pièce, éprouvaient, devant le film, la surprise d'un gourmet auquel un hôte distrait offrirait un bourgogne dans une coupe de champagne en lui disant: “Gofûtez-moi cet extra-dry.” Le Roi des palaces, Baccara et tant de films furent pour Jules Berry l’occasion de très vifs succès. Jules Berry est l’un des comédiens les plus aimés du public canadien-français. Tous ses films obtiennent un franc succès et nous le reverrons bientôt dans “Balthazar” avec la jolie Danièle Parola. On ne saurait trop dire le talent extraordinaire de Jules Berry. C’est le dynamisme fait homme. Dès qu'il entre en scène, il crève l'écran. Il est toujours maître de la situation. Un mot, un geste, une expression et il sort avec tout le succès de la scène pour lui. Peu d'acteurs peuvent tenir devant ce maître dont le talent est fait d'intelligence et d'esprit. En quelques films seulement il s’est imposé à l'attention des cinéphiles qui, aujourd’hui lui font une place d’honneur, d’ailleurs méritée, parmi les grands maîtres de l'écran français. Raïimu est fait chevalier de la Légion d'Honneur Raimu, le grand artiste français, qui a connu tous les succès dans le drame comme la comédie vient d’être créé chevalier de la Légion d'Honneur. Ainsi la France récompense l’un des plus grands et des plus sincères ambassadeurs de l'Art français à l'étranger. Garage: 3665, St-Christophe (Près Chetrier) MONTREAL