Le Film (janv 1926)

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26 | | LE FTCM MoNTREAL, JANVIER 1926 L'AMOUR DU METIER Par RENE JEANNE À notre époque de laisser aller et de sabotage, il est encore un métier dont, si bizarre que cela puisse paraître, ceux qui l’exercent ont conservé le goût. Si vous connaissez des acteurs, vous ne me contredirez certainement pas, car c'est d’eux que je veux parler. J'en connais quelques-uns et j'ai toujours été frappé par la ressemblance que chacun d'eux présente avec les types soigneusement établis de comédiens que, depuis plusieurs siècles, l'histoire et la légende nous ont transmis, parés d’une auréole, dont rien jamais ne ternira le lustre. Entendons-nous bien sur le sens qu’il convient de donner à ce mot: comédiens, et ne vous étonnez pas si je ne l’applique pas, ce mot, aux plus ou moins importants fonctionnaires qui, par arrêté mimistériel, sont chargés de cultiver la Tragédie et la Comédie classiques dans cette serre, surchauffée d’intrigues qu'est la vieille maison de Molière, ni aux pensionnaires de nos grandes scènes boulevardières à qui la pratique des sports, un bon tailleur, quelques aventures amoureuses et les échos des petits journaux ont créé une personnalité plus certaine et plus durable que dix ans d’études et de luttes. Non, pour moi, un comédien, c’est celui qui, ayant roulé, suivant la tradition moliéresque, sur toutes les routes de France et joué sur les tréteaux des plus petits chefs-lieux de canton, met encore le pied sur le quai de la gare de Nesles-en-Vexin, du même air qu’il entre dans la salle du Conseil des ministres, au 3e acte de Ruy Blas, celui qui n’ayant jamais eu so n nom imprimé dans aucun journal, si ce n’est le Monsieur du Borinage, ne saluerait pourtant pas le courriériste théâtral du Figaro s'il le rencontrait sur le boulevard; celui qui, Hernani à Bécon-les-Bruyères hier, Champignol à Mazamet aujourd'hui, et Rip à Montmorillon demain, s’imagine toujours, lorsqu'il traverse Paris entre deux trains, que la Porte-Saint-Martin l'attend pour remonter le Bossu, et que les Variétés vont l’arrêter au passage pour reprendre la Vie Parisienne; celui que la vie a gifflé, piétiné, mais qui n'a pas perdu une seule de ses illusions: celui qui porte la dernière lavallière et le dernier pardessus à pèlerine, et qui, Durand, Dubois ou Dupont, pourrait tout aussi bien être Brichanteau, Montchablon ou Saint-Guillaume. % % Le plus bel exemple du genre que je connaisse a pour nom Firmin Chantaroll Il tint, il y a environ dix ans, un petit rôle dans une de mes comédies qu’un vague impressario promena durant quelques semaines à travers les départements du Midi, et il le tint avec une grandiloquence à la fois si dangereuse et si ingénue que, depuis lors, je ne pus jamais, lorsque je le rencontrai, résister à la tentation de l'entendre me raconter de sa voix caverneuse, quelques histoires de coulisses où, naturellement, il joue un rôle plus important que celui que le hasard me fit lui confier. Vous ne vous étonnerez donc pas si je vous dis que c'est avec un petit frisson de curiosité joyeuse que je passai mon bras sous celui de Firmin Chantaroll lorsque je me retrouvai en face de lui, il y a une quinzaine de jours, en traversant les jardins du Trocadéro. Le vieil acteur était planté face à la To Eiffel et il demeurait là, la tête levée, les yeux fixés vers le sommet de l’immense pièce montée métallique, dans une attitude qui pouvait ‘aussi bien être d’admiration que de défi. — Projetez-vous d'organiser une représentation de Lazarele-Pâtre ou de Patrie, sur la troisième plate-forme de cet inartistique édifice ? lui dis-je, lorsqu'il m’eut serré la main. — Non, pas encore, mais cela viendra peut-être, me répondit-il. Tout arrive. Je viens de m’apercevoir que la science a du bon, parfois, quand elle consent à se mettre au service de l’art. Je regardai Chantaroll. Il parlait sérieusement. D'ailleurs l'ironie lui a toujours été étrangère. — Oui, continua--t-il après un temps, je viens d’être engagé par la Compagnie des G. A. À. Q. P. T.S. F. — Grandes Auditions Artistiques Quotidiennes par Téléphonie sans Fil. — et c'est pour cela que vous me trouvez ici. J'ai tenu à avoir par moi-même une vue d'ensemble sur un poste de T. S. F. Maintenant, je sais. Je viens de sentir l'air vibrer autour de Alors, je vais regagner d'un meiïlleur coeur Île siège de la Compagnie où moi et les ondes passer magnifiques sur mon front. tous les jours, à 5 heures et à 8 heures, je donne des séances dont on commence à parler. Que voulez-vous? J'ai besoin de comprendre, moi! Tenez, voyez! Chantaroll avait tiré de sa poche un journal qu’il me tendait, en me désignant à la rubrique de T. S. F. ces quelques lignes pardues parmi cinquante autres : “Compagnie des G. A. A. Q. P. T.S. F.: 5 heures. — _ “Le chant des Allobroges, orchestre; La Prière d’une Vierge, piano, Mile Morillot, prix du Conservatoire; L’ Alouette et le Volubilis, flûte et hautbois: La Brouette, d'Edmond Rostand, par M. F. Chantaroll, des grands théâtres parisiens...” — Tous mes compliments, fis-je, en rendant au comédien son journal qu'il glissa soigneusement dans sa poche. Et cela vous intéresse, vous avez un bel engagement ? — Très beau, bien sûr, mais vous savez que je ne suis pas un homme d'argent. Alors! Nonl. Ce qui me passionne, c'est de me dire que ce n'est plus pour quelques pauvres centaines de spectateurs entassés dans une salle étouffante et misérable que je traduis la pensée des poètes, mais pour des millions et des millions d’êtres humains, épars à travers le vaste et libre monde. c’est de savoir que chaque jour, un peu avant cinq heures et avant huit heures, Blancs, Noirs et Jaunes, à New-York comme à Paris, à Dakar comme à Shanghaï, abandonnent leur travail, lèvent le front et attendent avec impatience _ la bonne parole qui, grâce à moi, leur vient de France, et qu’à la même seconde, en m'entendant, un soupir de soulagement sort de leur poitrine et qu’ils disent à leurs petits enfants qui se pressent autour d'eux: “Chut Soyez sages et écoutez! C'est