Le Film (avr 1926)

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26 | E ETC M MonNtR£EAL, Avril 1926 LE BEAU, LA BELLE et LE LAID : par RENE JEANNE Quand, ce soir-là, Francine Dormoy prit congé de ses vieux amis Rabuttet chez qui, depuis son divorce, elle dînait chaque samedi et que Georges Tardimont lui demanda cérémonieusement la faveur de l'accompagner jusqu’à sa porte, elle eut le pressentiment ridicule mais impérieux, qu'il allait, entre elle et lui, se passer quelque chose et elle n’avait pas fait cinquante pas dans la rue déserte qu’elle avait la satisfaction de constater que son pressentiment ne l'avait pas trompée. ‘J'ai souvent pensé, disait Tardimont, d'une voix que Francine ne lui connaissait pas, qu’il doit être bien désagréable pour une jeune femme qui, après avoir eu une jeunesse Jlaborieuse, a, pendant quelques années, goûté aux joies d’une vie oisive, d’être obligée de revenir au travail régulier.” C'était en effet là le cas de Francine Darmoy. Mannequin dans une grande maison de couture de la rue de la Paix, elle avait, un soir de sainte Catherine, connu Robert Espeuil commanditaire de la maison qui était venu asssiter à la fête organisée par les ouvrières et c'avait été le coup de foudre réciproque, coup de foudre si dévastateur que jeune, joli garçon, millionnaire, Robert avait, six semaines plus tard, conduit devant M. le Maire et M. le Curé le joli mannequin qui ne possédait pour dot que ses vingt printemps, sa taille souple, ses yeux clairs et ses cheveux d’or. Pendant un an, le bonheur de Francine n'avait pas connu l'ombre la plus légère, puis Robert était redevenu iui-même: il avait recommencé à échanger avec les femmes, — toutes les femmes, — des sourires, et Francine, non sans larmes, avait bien vite appris que ces sourires-là peuvent mener loin. Mais comme elle avait eu le temps de faire le tour de Robert et de s’aprcevoir qu'il ne valait pas beaucoup plus qu'un de ces personnages de cire si bien habillés et si bien coiffés que certains tailleurs ont la mauvaise habitude de déposer dans leurs vitrines, elle était déjà consolée, lorsque le divorce avait été prononcé, condamnant Robert Espeuil à verser à son ex-femme une pension qui aurait donné à Francine, si elle avait été intéressée, le goût de la liberté. Malheureusement, Robert, encore qu'il l’aimât à sa facon, aimait Francine plus que celle-ci le supposait, car dès qu'il était redevnu garçon, et sans doute pour oublier celle qu'il avait perdue, il s'était mis à jouer, mais à jouer si fort qu’en un an il était dans l'impossibilité de verser à Francine les mensualités que le Tribunal avait fixées et Francine, qui n'avait pas d’économies, était redevenue courageusement un petit mannequin. Ce petit mannequin-là s’évertuait à la résignation, mais dans ses yeux passait parfois une lueur de mélancolie quand son métier l'amenait à parader devant quelque belle cliente, de qui les exigences lui rappelaient cruellement son oisivté et sa fortune perdues. , Et voilà que, Francine, dans la nuit tiède et discrète, sentait à chacune des paroles prononcées par Georges Tardimont se préciser la possibilité d’un retour à cette existence dorée qui lui apparaissait maintenant comme indispensable à son bonheur: Tardimont était riche, vieux garçon, sans famille, cela Francine le savait depuis longtemps et elle apprenait qu'il était amoureux d'elle, et que cet amour lui ferait perdre la tête si elle refusait d’être sa femme. N'y avait-il pas là de quoi séduire Francine, et Francine aurait en effet été séduite sur le champ si son amoureux imprévu n'avait pas été à la fois si laid et si grotesque. Francine, quand elle arrivait dans le voisinage d’un bec de gaz, jetait un coup d'oeil en coulisses sur son compagnon qui, gros et court, congestionné et gélatineux, roulait sur des jambes en cerceaux un ventre de toupie hollandaise et après chacune de ses phrases, soufflait si fort qu’il était invraisemblable qu'il pût continuer à parler, à trottiner et à souffler ainsi sans se décider à choisir entre la course. l’éloquence et s’essoufflement. Heureusement pour Tardimont, Francine était arrivée à sa porte. [La jeune femme, souriant gentiment, prit congé de son amoureux, et l’amoureux resta un long moment à contempler la porte derrière laquelle celle qu’il aimait venait de disparaître pendant que Francine, sans perdre une seconde, commençait à réfléchir à la proposition qui venait de lui être faite. Francine réfléchit si bien que huit jours plus tard, elle avait, en fermant les yeux, accepté d’être Mme Tardimont et que six semaines ne s'étaient pas écoulées avant qu’elle ne roulât en compagnie de son nouvel époux pour un très moderne voyage de noces, vers la Riviera ensoleillée et retentissante des accents de mille jazz-bands. Le soleil niçois est si aveuglant quand on le contemple à l’époque du Carnaval des fenêtres d’un Palace, de la terrasse d’un Casino ou du fond d’une limousine fleurie que Francine resta quelque temps sans remarquer la laideur ni le grotesque de son mari. Mais dès le retour à Paris, laideur et grotesque lui furent bien vite des humiliations si gênantes qu'il n’est pas de distraction auxquelles elle n’eût recours pour s'étourdir. L'amour que Tardimont avait pour elle restait pourtant si entier et si touchant que Francine était si foncièrement honnête que parmi les mille façons de se distraire qu’elle avait adoptées, une seule n’avait pas été mise à contribution et c'était précisément celle à laquelle les jeunes femmes qui sont dans le même cas que Francine Tardimont demandent ordinairement de leur faire oublier les inconvénients du mariage. Un jour donc que Francine était — en compagnie de son mari — au cinéma dont l’ombre complaisante voilait les apparences peu séduisantes du placide Tardimont, quellé*ne ne fut pas la stupéfaction de la jeune femme à voir apparaître sur l’écran dans le rôle du don Juan en habit d’un interminable film dont les péripéties prétendaient à être le reflet de la grande vie parisienne, son mari, c’est-à-dire, son premier mari, le vrai, le seul, Robert Espeuil. Avec cette puissance de dissimulation que, malgré son honnêteté, elle possédait à l’égal de ses soeurs re 2 tm PT