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— Envoyez-nous des cartes !...
— Et si ce pays enchanteur vous retient, écrivez-nous ! ...
— Au moins pour nous donner votre adresse !...
— Pour que nous puissions vous envoyer nos condoléances ...
— Ni fleurs ni couronnes !... cria une voix.
Ils étaient là une dizaine autour de lui, jeunes athlètes aux muscles longs, éphèbes à peau bronzée, jeunes filles minces et nerveuses, pareilles à la fois à des sportives dont elles avaient la force et à des danseuses à qui elles ressemblaient par la grâce. René avançait lentement, comme enfermé dans ce lumineux anneau fait de corps vivants, de jambes robustes et de bras souples. Il se débattait en riant :
— Laissez-moi passer ! Je vous apporterai des œillets mesdemoiselles, et je distribuerai les chardons entre les hommes |... Je vous enverrai des cartes postales ...
— En noir ou en couleurs ?
— En noir et en couleurs ! Laissezmoi passer !..
Soudain il bondit, bouscula amicalement deux de ses camarades qui roulèrent dans le sable et s'enfuit à toutes jambes, poursuivi par la horde.
Mais dès qu'il eut quitté la plage il se retourna et, d'un air narquois, salua ses compagnons de jeux. Ceux-ci, les pieds nus et vêtus de leurs seuls costumes de bain, devaient renoncer à aller plus loin !
Le canot, frété de la veille. l'attendait. Dès qu'il fut embarqué, le bolide marin, d'un seul bond, s'élança.
Eau calme. Voyage sans histoire.
Une heure et demie plus tard, le pilote annonça :
— Voilà Quiberon en vue. Là-bas, en face |
Le bateau arriva bientôt à l'embarcadère, dont le soubassement de pierre trempe dans l'eau verte. Le « patrouillard » de la grande traversée, QuiberonBelle-Isle vibrait déjà sous les à-coups de sa chaudière.
René embarqua et monta sur le pont avant.
Quelques minutes plus tard, le bateau levait l'ancre, et d'un petit souffle d'asthmatique, il piqua vers le large.
Passé le môle, une houle assez dure l'accueillit. Le bateau avançait comme une baïlle : sur bâbord, sur tribord, de la poupe à la proue, il s'inclinait comme un culbuto solennel. Bien que le ciel fût éclatant et l'air calme, des passa. gers, déjà, pâlissaient, en proie à l'appréhension du mal de mer proche. Une odeur saine et primitive de sel et d'algues s’appliquait sur le visage comme un masque vivifiant. Il semblait à René qu'un sang plus riche circulait dans ses veines et ce garçon sportif n'était pas fâché d'être ainsi «tabasséy» au milieu de ces eaux dangereuses, sémées d'écueils. Il imaginaïit un naufrage, le
bateau s'éventrant sur un récif, les passagers affolés, les chaloupes à la mer... et il se taillait, auprès du capitaine, un rôle héroïque ! Un petit frisson d'horreur et de bien-être le parcourut. Ah! l'aventure ! ... Comme il l'avait appelée de tous ses vœux dans ses rêves d'adolescent !..
Il soupira ! Sa vie de désœuvrement,
de parties fines et d'inutilité lui était, par éclairs, intolérable. Il lui arrivait d'envier ceux que l'existence broie dans le bagne du travail. Et pourtant, il ne souhaitait point de travailler.
La besogne quotidienne, avec ses horaires fixés d'avance, l'éloignait trop. I1 ne répugnait point à l'effort, mais à ! discipline. La routine du travail lui apparaissait impossible à accepter.
Ah ! s'abandonner au vertige de deux ailes ou de quatre roues flamboyantes, risquer sa peau dans l'apothéose, voilà qui aurait été bien !
Hélas !...
Les lames écumaient en bouquets sous le ciel sans nuages et sans vent. Hors de cette région d'écueils, la mer devait être lisse comme un émail. Ici, elle s'enflait et retombait, pareille à une eau qui bout.
Pendant une heure, le vapeur emphysémateux suivit son petit bonhomme de chemin. La côte de l'île de roc se rapprochant insensiblement et bientôt avec un grand bruit de chaîne, le patrouillard jeta l'ancre dans le petit port du Palais.
Toute une flottille de bateaux de péche se balançait dans le havre : sardi. niers aux voiles brunes, thoniers en toiles de blanc ou de bleu. Les filets étendus sur la lisse séchaient. et une âcre odeur de saumure et de «bouëtte » triomphait.
Les maisonnettes basses, couvertes de tuiles grises, s'allongeaient le long du port comme les grains d'un chapelet et des roses trémières montaient la garde de chaque côté des seuils. Malgré l'odeur lourde qui montait du port, en dépit de parfums fauves qui sortaient des maisons de pêcheurs, le bourg gardait un air digne, un peu sévère à force de correction, pareil à celui de ces vieilles Bretonnes crasseuses et distantes que l'on rencontre au pays d'Armor.
Dédaignant les voitures qui s'offraient et l'autocar qui attendait, René s'en fut tout seul à pied.
Tout de suite, le paysage le séduisit. À la fois titanesque et tendre, il étalait, au milieu du chaos de ses granitiques et immuables falaises, des vallons verdoyants qui s'inclinaient en pentes douces, ombragées d'yeuses.
« Joli pays ! pensa-t-il avec satisfaction. Mais j'ai faim ! Cet après-midi, ie me promènerai plus à loisir ! »
Il retourna sur ses pas et pénétra dans une modeste auberge. On le fit cérémonieusement entrer dans une petite salle où quatre tables étaient dressées.
« Ça n'a rien d'un palace | » songea le
LE FILM
jeune homme amusé et, somme toute, satisfait.
Le linge était de toile rude, à peine blanchie, mais impeccable. Les assiettes de grosse faïence fleurie mettaient une note rustique et gaie et une belle fill: du pays, aux joues luisantes de santé, attendait silencieusement qu'il parlât.
— Eh bien, mademoiselle, dit-il rondement, qu'allez-vous me servir à déjeu. ner ?
— Il y a du homard au carry et du ragoût de congre.
Il esquissa une grimace ; le menu était court pour un appétit comme le sien. Mais enfin il n'avait pas le choix.
«Un vrai repas d’explorateur ! fit-il in petto. À la guerre comme à la guer. re!”
Et tout haut :
— De bonnes portions, alors, mademoiselle, apportez-moi de bonnes portions. Vous avez du cidre bouché ?
— Dame, oui, monsieur ! Il est pour sûr aussi bon que du champagne !
— Âllons-y pour ce bon cidre !
Affamé, René se mit à table. La servante déposa devant lui du beurre frais
et plusieurs assiettes contenant des co
quillages. |
— Tiens! remarqua-t-il, vous ne m'aviez pas dit que j'aurais tout ça !
— Ah! dame non! Je ne vous ai dit que «les gros plats ».
René poussa un soupir heureux. Allons ! II mangerait à sa faim!
Crevettes roses, bigorneaux frais péchés, palourdes gorgées d'eau, tout y passa. Le beurre était bon, le « pain de ménage » cuit à point et le cidre faisait valser le bouchon qui prétendait le rete. nir prisonnier dans la bouteille. C'était très bon ! La vie était belle ! Après cela vint une de ces fricassées de sardines fraîches, de quoi satisfaire une escouade ;: puis le fameux homard au carry et enfin l'étrange ragoût de poisson. Bien préparés, ces mets locaux étaient délicieux.
« On fait bonne chère dans ce bouchon, constata René. S'il y a des chambres, je m'établis ici. » e
Il y avait des chambres ! Il en eut une toute blanche : murs blancs, lit blanc, rideaux blancs. La fenêtre s'ouvrait sur une dégringolade de chèvre-feuille et encadrait un premier plan de rocs et un horizon de mer, lointain comme un voyage. Cabine de bateau bâillant sur le large !
Content de vivre. il s'en alla. Il voulait avant toute autre chose rendre visite à la Côte Sauvage.
Ce fut là que, pour la première fois, il sentit dans toute son ampleur la poésie sauvage de la Bretagne unie à la mer. Sur des blocs de roc noir, sur les écueils chevelus de goémons, les vagues déferlaient, crépitaient, jaillissaient en gerbes hautes de plusieurs mètres. L'Océan écumait ; toute sa surface était brodée, frangée, filigranée d'écume. Une pous
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