Le Film (nov 1936)

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22 sière d'embruns enveloppait le promeneur, poudrait ses joues, lui salait les levres et il éprouvait un bien-être puissant, une détente du corps et de l'âme, à se trouver tout seul, face à cette force qui se brisait à quatre pas de lui. Le parfum de tabac blond et de lavande qui était le sien : banni ! Il perdait son odeur humaine, pénétré jusqu'aux moelles par les senteurs d'algues, d'iode et de sel. I] demeura longtemps solitaire, amoureux de la mer et du granit. Quand il quitta la Côte Sauvage, il était cing heures. Trop tard pour visiter la grotte de l’Apothicairerie, l'une des merveilles naturelles de la Bretagne. Pour rejoindre son auberge il avait à faire pas mal de kilomètres. Il se décida à rentrer en flânant à petits pas paresseux. La route était déserte comme une église à l'heure où les croyants travaillent et une mélancolie soudaine s’abattit sur les épaules de René. La Bretagne le prenait, lui insufflait la nostalgie incluse en son silence, ses rochers et ses crépuscules. Sur mer, vers l'ouest illimité, le soleil _déclinait dans son incendie quotidien. Et soudain, sans savoir pourquoi, René s'assit face au couchant avec l'espoir incertain et superstitieux de voir le rayon vert dont la légende, tout à coup, lui revenait. À la seconde où le soleil achève d2 disparaître derrière un horizon de mer, il émet un rayon vert, fulgurance si rapide que l'œil ne le perçoit point. Mais celui ou celle qui, d'aventure, a capté au fond de sa rétine cette lumière éme. raude, est assuré de trouver le bonheur dans le pays même où il a reçu la révélation du rayon bénéfique ... Il suivit pendant vingt minutes le déclin de l'astre. Il eut d'ailleurs quelque mérite à cela : un vent très vif s'était levé et, immobile, René grelottait sous ses vêtements de flanelle légère. Heureusement, ce ne fut point en vain. Autosuggestion ? Réalité ? Il n'aurait su le dire. Mais à l'instant même où le soleil s'affaissait derrière les flots, une impression verte et éclatante emplit, vendant un dixième de seconde peut-être, les prunelles du jeune homme. Il se leva, ravi, tout songeur. «Le bonheur ?... pensait-il. Mais je suis heureux! L'argent, l'indépendance... Je les ai! Sera-ce donc l'amour que je trouverai ici?...» Il se sourit en se moquant de luimême : « Cela m'étonnerait! Je serais bien surpris de découvrir ici la demoiselle riche et noble, ambition de mes parents, pas plus que la jeune fille plus modeste, objet de mes rêves, à moi. Car, bien que je me moque des titres autant qu'un brochet d'une paire de lunettes, mes instincts démocratiques et libéraux n'iront pas jusqu à me faire épouser une fille de pêcheur !...» Il plaisantait en se disant cela. Brusquement, sa pensée aiguilla : « Beau pays, vraiment ! Il faudra que jy amène Pierre et sa sœur. Ces deux bohèmes s'accommoderont fort bien de cet amour d'auberge et de ses ragoûts de poisson. Huguette va devenir lyrique devant ces rochers et cette mer fumante d'embruns. Nous pourrons passer ici deux ou trois bonnes journées ...» À un kilomètre du Palais, il rencontra une jeune paysanne qui, brusquement, débouchait d'un sentier. Elle portait le hâle et la coiffe légère des Belliloises. Un besoin subit de parler poussa Renné à la saluer : — Belle soirée ! mademoiselle ! dit-il. — Très belle ! répondit-elle sans sourire. — Vous habitez un bien beau pays ! Je viens de la Côte Sauvage... — Ah! fit la jeune fille avec indifférence. Il la sentait désireuse de passer outre. Par esprit de taquinerie, il poursuivit : — Vous rentrez à la ville, sans douter — Non, répliqua-t-elle brièvement. — Ah! c'est dommage ! Nous aurions pu faire la route ensemble ... Elle coupa court : — Je suis pressée. Excusez-moi ! Il la vit s'éloigner d'un pas rapide. — Fichtre! que voilà donc une jouvencelle peu sociable ! Digne, très digne, mais peu sociable ! Où va-t-elle donc, cette charmante personne qui ne rentre pas au bourg ? De loin, par désœuvrement, il la suivit. Elle marchait le long d'un chemin en lacet. Derrière un coude, brusquement, au milieu du paysage, se dressa une maison, villa vaste et confortable, enclose de murs et fermée par une grille de belle allure. La jeune fille poussa la porte et entra. Il attendit qu'elle en ressortit. Il en fut pour son attente; au bout de quelques minutes il conclut : — ÆElle doit être bonne d'enfant ou femme de chambre dans cette maison. Si je m'attendais à trouver ici une villa presque luxueuse ! ... Quelle idée biscornue | Il s'approcha de la charmante habita-. tion, construite dans le genre bungalow. Des parterres éclatants de géraniums rouges et des massifs d’hortensias illuminaient les pelouses soigneusement entretenues ; des rideaux d'un goût parfait égayaient les larges baïes fleuries de géraniums-lierres qui croissaient dans des corbeilles en encorbellement. De la plate-forme sur laquelle était construite cette demeure, on découvrait tout le pays alentour et le port du Palais apparaissait. avec ses barques, son môle, ses maisons basses, comme un vivant diorama. Tandis qu'il contemplait alternativement la maison et le panorama, une fe LE FILM nêtre s'ouvrit au premier et le visage de la paysanne inconnue se montra. Mais elle aperçut le jeune homme et se retira. René devina sur le masque aussitôt disparu qu'apparu une nuance de malice. Il s'en fut, assez embarrassé de son personnage, et tout pantois d'avoir été surpris en flagrant délit d'indiscrétion. Il redescendit jusqu'à son auberge et se régala d'une « cotriade », soupe au poisson richement parfumée d'herbes aromatiques. —Dites-moi, mademoiselle, à qui donc appartient la belle maison, là-haut ? — «Le Nid de Goélands », que vous voulez dire, monsieur ? précisa la servante. — C'est ça même! — C'est la maison d'Yves Cornouër, l'armateur. — ÂAh! ah! Il a une servante qui n'est pas bavarde, M. Cornouër ! — Il n'en a pas qu'une, monsieur : il en a trois et un jardinier. Car il a des sous, vous savez ! C'est un « gros monsieur » ! Il arme pour la sardine et pour le thon et il a deux trois-mâts et un quatre-mâts qui font le long-cours. C'est vous dire !... — Parfait, parfait !... fit distraitement René. Somme toute, M. Cornouër ne l'intéres$ait que médiocrement., Sa domestique pas davantage. Inutile de s'éterniser | Il acheva tranquillement de dîner, sans penser à autre chose qu'à l’excellence des mets qui lui étaient servis. Puis, pendant une heure, il fit, en fumant, une petite promenade de digestion. Enfin, content de sa journée, ivre de sa solitude et du grand air qu'il avait respiré, il rentra à sa petite auberge de campagne, monta dans sa chambre et, avec délices, s'allongea entre des draps de toile rude qui sentaient bon la bruyèré et les relents du large. IT Le lendemain, tôt levé, il prit un guide pour aller visiter la grotte de l'Apothicairerie. L'accès de ces roches, curieusement sculptées par la mer, en aiguilles et en cheminées, est difficile, voire dangereux, pour celui qui ne les connaît point. Il faut être souple et leste et. par surcroît, inaccessible au vertige, pour se livrer aux joies de cette excursion. Il faut avouer que le spectacle vaut le dérangement et que l'on est amplement récompensé de sa peine devant la magnificence de cette architecture formidable contre laquelle la mer déferle sans arrêt, se pulvérisant en gerbes, en panaches, en nuages, avec un bruit sourd qui ébranle l'île jusqu'en ses assises. René en revint, définitivement conquis par le pays. En réglant sa note d’auberge, il annonça : je.