We use Optical Character Recognition (OCR) during our scanning and processing workflow to make the content of each page searchable. You can view the automatically generated text below as well as copy and paste individual pieces of text to quote in your own work.
Text recognition is never 100% accurate. Many parts of the scanned page may not be reflected in the OCR text output, including: images, page layout, certain fonts or handwriting.
vais parler au gérant, au sujet de quelques clients que jai dans la région ...
François fronce les sourcils :
— Père, tu ne vas pas...
M. Mathys éclate d'un rire jovial :
— Dis donc, petit, tu renverses un peu les rôles, à mon avis? Tu ne me crois pas assez grand pour me conduire tout seul, avec tact et délicatesse? En voilà, de l'irrespect ! ... Simone en est toute médusée, mon garçon... Rassure ta fiancée, tiens...
Il s'éloignait, tandis que sa femme, d'un sourire, tentait d'apaiser la contrariété de son fils :
— Tu connais ton père, mon chéri. Curieux à l'excès, mais incapable de peiner quelqu'un, sans aucune méchanceté. S'il interroge sur cette petite Espagnole, il le fera sans que celle-ci le soupçonne. Et puis, dis-toi bien que beaucoup doivent manifester la même surprise que lui. Les questions sont inspirées par une sympathie apitoyée dont l'intéressée aurait tort de se blesser ...
François ne répondait pas. Il aidait sa :
mère à sinstaller dans un grand fauteuil, attirait un petit guéridon sur lequel guides, notices et photographies s'entassaient.
— Alors?... Où voulez-vous aller, mesdames ? ...
C'étaient surtout les désirs de Simone que la famille Mathys entendait satisfaire. Gentiment, la jeune fiancée disait, parmi tant de sites réputés, ceux qui parlaient davantage à son imaginaON:
François notait sur une feuille blanche, comparait les distances, réfléchissaits ,»
Tous trois donnaient une impression de quiétude absolue.
C'est dans cette occupation agréable que M. Mathys retrouva les siens, une demi-heure plus tard. Le visage de l'excellent homme semblait satisfait :
— Ma chère Marie, annonça-t-il à sa femme, tu te trompais dans tes déductions ... Cette jeune personne n'est pas du tout d'origine noble...
Ces contradictions flagrantes étaient familières à Mme Mathys. Avec une résignation amusée, elle souriait :
— Je ne croyais pas avoir fait de pronostics, jimaginais au contraire que toimême ... ee
— Peu importe, tranchait le chef de famille magnanime. Je l'avais parfaitement pressenti, il s'agit d'une histoire douloureuse et émouvante au suprême degré. Cette jeune fille, pour n'être pas noble, appartenait à une très honorable
famille de commerçants madrilènes. Elle était fiancée avec un jeune professeur Ils s'aimaient. Tout semblait leur sourire... Mercèdès Guadalara, dont le père était mort depuis quelques années, tenait avec sa mère un magasin de meu-bles anciens. Elles étaient d'une situation aisée. La rafale survint. Les idées libérales du jeune professeur lui faisaient
18
un devoir de lutter contre les insurgés. Courageusement, il retardait la date du mariage et prenait place dans les rangs des miliciens ...
« Mais les bombes commençaient à pleuvoir sur Madrid. La terreur s'emparait des deux femmes, seules maintenant. La mère, surtout, donnait des signes d'effroi grandissant. Mercèdès voulait rester pour avoir des nouvelles de son fiancé. Hélas ! celui-ci, ayant quitté Madrid pour San Sebastian, était tué lors d'un combat entre les deux armées. Un ami commun annonçait cette nouvelle désolante à la jeune fille et lui transmettait le dernier vœu de celui qui l'avait aimée : qu'elle s'en allât, bien vite, loin de cette effroyable mêlée ...
« L'aisance des deux femmes provenait de leur commerce et, en cette époque terrible, il n'était guère facile de réaliser le prix de leurs mobiliers. C'est comme des errantes qu'elles arrivèrent à Hendaye, il y a près de six mois. Mercèdès et sa mère s'étaient réfugiées dans cet hôtel. Mais leurs ressources allaient en diminuant et le docteur qui soignait la pauvre mère prévoyait une issue fatale et rapide. Peu après, Mercèdès Guadalara questionnait les directeurs de cet hôtel sur la possibilité de gagner sa vie. On lui offrait la place que la caissière venait de quitter. Voilà !..
C'est Simone Leroy qui de sa voix douce donna la conclusion du récit lamentable : :
— Elle est encore plus touchante, plus proche de nous, cette triste jeune fille, que si elle était noble, issue d'une de ces grandes familles orgueilleuses dont nous parlions hier... Comment ne la plaindrais-je pas, moi qui possède ce qu elle a si tragiquement perdu : sa mère, son fiancé, son pays...
Simone a une douce récompense à ces paroles généreuses. François prend sa main et la serre doucement :
— Vous êtes pleine de cœur, ma chétes
Mme Mathys fait diversion à la tristesse inséparable d'un tel récit :
— Puisque, malheureusement, nous ne
pouvons rien pour cette malheureuse jeune fille, mes amis, revenons à nos vacances : voilà le résultat des recherches de François, mon cher Henri... Arrangeons tout cela et puis partons pour Biarritz. Par un temps délicieux, il est dommage de rester enfermés dans ce salon...
La pensée de François, avec une irrésistible insistance, lui fait évoquer une jeune fille idéalement belle et triste, qui se penche sur un registre, répond aux questions souvent insanes des voyageurs et, quand un peu de répit lui est accordé par une vie mesquine, laisse tomber sa tête pâle dans ses mains fines et pleure, pleure avec une sorte d'ivresse désespérée.
Peu à peu, quelques relations aimables
-se sont ébauchées entre Mercèdès Gua
di
dalara et la famille Mathys. Cette dernière est visiblement composée de si braves gens que la froideur distante de la petite Espagnole a bien été obligée de fondre devant une sympathie indéniable. me
Simone qui revenait avec un bouquet de roses a, d'un geste charmant, partagé en deux sa gerbe fleurie et en a tendu la moitié à la jeune caissière que cette gentillesse a émue aux larmes. Elle a remercié d'un sourire étincelant.
Mme Mathys, un après-midi, a de
mandé à la gérante de l'hôtel si Mile.
Guadalara ne sortait jamais. Comme on lui a répondu que c'était uniquement parce que la pauvre petite, hormis le cimetière, n avait aucun but de promenade, la mère de François a offert d'emmener la jeune fille «un de ces jours ».
Mercèdès, après quelques hésitations, acceptait...
C'était un spectacle charmant que celui des deux jeunes filles, si différentes de beauté, cheminant côte à côte, sur les routes ensoleillées.
— Pauvre enfant ... elle retrouverait vite son sourire, si elle était moins seule... remarquait Mme Mathys.
— C'est normal, constatait son mari. À vingt et un ans, il ne peut être de deuil éternel... malgré les horreurs vécues, malgré les pertes cruelles, elle veut vivre, cette petite... C'est la loi naturelle.
Les vacances continuent, plus heureuses encore puisque les Mathys ont la certitude de faire un peu de bien, de redonner de la joie à une désespérée.
Et voilà qu'il est déjà question de retour. Bientôt ce sera l'automne, la reprise de la vie laborieuse de tous.
Une mélancolie passe sur les visages jusqu'ici uniquement ravis. Partir...
Déjà, Mme Mathys, en femme précautionneuse, prépare le voyage. Pour Simone, le cœur serré, elle remarque
le visage douloureux de Mercèdès et se.
désole du vide que leur départ va mettre dans la vie de la pauvrette.
Affectueusement, elle tente quelques consolations dont elle sent bien, hélas ! l'inanité,
Mercèdès, toutefois, tente de réagir. Elle veut se montrer résignée à son triste destin. Elle s'en voudrait de causer une peine quelconque à ceux qui si généreusement ont tenté de la distraire de Sa peine, à ceux à qui elle a voué une reconnaisance sincère et dévouée.
Mais elle ignore ce que M. Mathys apprend aux siens consternés : le nouveau malheur qui va s'abattre sur la triste orpheline :
— Elle ne le sait pas encore, la malheureuse petite, C'est le gérant qui m'a dit cela tout à l'heure. L'hôtel a reçu cette année beaucoup moins de clients que l'an passé. On songe à supprimer l'emploi de Mercèdès. Oui, c'est la gérante elle-même qui tiendra la caisse. Ce sera du premier gagné, disent-ils.
LE FILM
2