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L à Rs UE
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— Je ne suis donc pas faite comme les autres ? se demandait mélancoliquement Léone.
Car, cet ennui, cette chape de plomb tombant sur ses frêles épaules, s accentuait de jour en jour... depuis qu'elle était en vacances.
Dans la pension privée où elle était surveillante, de quelle joie les fillettes avaient-elles salué le départ en vacances ! Quelles ruées après les prix ! Bonheur fiévreux auquel les maîtresses non plus n'échappaient point. Dans les ultimes conversations, les noms des plages et des villes d'eaux, de toutes les provinces de France, revenaient comme des leitmotive. Seul, le silence de Léone dans tout ce joyeux vacarme, étonnait.
Aurait étonné plutôt. Car la joie rend égoïste. Et qui, au vrai, se souciait de
le Marcellin, dans la Pension Fronchet. Elle ne tenait rien tant qu'à passer inaperçue, le plus possible ... et elle y réusissait parfaitement.
On savait seulement qu'elle était orpheline et que la mort de son père s'était accompagnée d'une débâcle pécuniaire. Ses études avaient été interrompues au milieu de la préparation d'une licence, ce qui la cantonnait dans les rangs inférieurs de l'enseignement.
Peut-être était-elle jolie? Mais qui s'en souciait puisqu'elle même n'y prenait pas garde |
Pour ses collègues, Léone ne se distinguait que par sa « manie » : ses louveteaux. Au début, elle avait essayé de faire partager aux autres maîtresses et surveillantes sa foi scoute. Mais elle n'avait recueilli que sourires, certains indulgents, d'autres acerbes.
Encore, à la Pension Fronchet, cela passait, à peu près. Les filles sont douces, on le sait. Ft les petites élèves venaient des quartiers aristocratiques de Paris. Tandis que les petits loups de Léone — quelle horreur! — elle les avait choisis tout exprès dans les faubourgs de l'est parisien. :
— Vous feriez, peut-être mieux, mademoiselle Marcellin, de préparer votre certificat d'aptitude pédagogique. Enfin, cela vous regarde, n'est-ce pas ? avait dit un jour Mlle la directrice.
— Pour conclure, d'ailleurs :
— Pourvu que vous ne nous rameniez pas de parasites !
Léone avait vite compris. L'hostilité de ses collèques, de la die l'avait cantonnée dans un mutisme plus profond encore.
Mais d'être secrète, sa tendresse pour les petits loups n'en était que plus profonde.
Quand, en ses années adolescentes, on a connu les deuils et les déceptions avec une impitoyable objectivité ? Le mariage! Il n'y fallait même pas songer. Car Léone ne pouvait pas envisager le mariage sans l'amour, Et l'amour ?
ce seul mot, Léone haussait les épaules. Est-ce qu'on aime une petite surveillante d'internat, insignifiante, sans relations, qui ne sait ni s'habiller, ni rire, ni être « comme les autres ? » Elle restait confinée dans sa solitude et dans son orgueil aussi. Vivre seule ?
Tel était son destin.
Tant pis... ou tant mieux! Certaines leçon portent... à jamais! Léone — mais à quoi bon remâcher de vieux sou
venirs — avait été fiancée, en des temps lointains, quand elle était riche et heureuse. Mais l'amour du fiancé n'avait pas résisté à la débâcle. Alors, depuis, n'est-ce pas ?
Tout cela, sans le moindre regret. Car ce n'était pas une larme, cette perle liquide que Léone venait d'écraser sur sa joue... Ses yeux étaient fatigués, tout simplement.
Mais très vite, Léone se reprit.
D'un bond, elle se leva du divan et se mit à arpenter la pièce, honteuse de s'être abandonnée à cette inutile et dangereuse rêverie, à ce « vague à l'âme ».
— Cheftaine ? Une idée de Cheftaine, répétait-elle.
Est-ce que son impuissance à arracher ses enfants à l'ambiance torride de Paris n'était pas à la base de son état d'esprit? Ce qui l'avait séduite dans le scoutisme, à l'encontre des autres groupements d'enfants, c'était cet appel à la vie naturelle, cette échappée hors du médiocre de l'existence quotidienne. Une féerie, un grand jeu auquel, à son tour, elle se laissait prendre. Mais un jeu qui demandait le décor de la campagne, les promenades aux environs de Paris, dans les bois à boîtes de conserves de Clamart ou de Fausses-Reposes n'en étaient que les préparations ... ou la parodie. ;
Comme il avait eu raison, Roger! Comme toutes les petits faces pâles disaient éloquemment que l'été parisien pesait trop lourdement sur ses épaules chétives !
Les autres cheftaines partaient, toutes. Mais la troupe Saint-Fargeau n'était pas seulement une meute nouvelle. C'était aussi une des plus pauvres. Le vague Comité que Léone avait réuni à grand'peine, lui dispensait de rares encouragements .. verbaux, mais point de fonds. Les cotisations des enfants ne rentraient pas, et Léone n'osait même pas en parler. Quand au «trésor» de la troupe, il avait disparu le jour même où Léone avait retiré de la Caisse d'Epargne ses économies.
Il y avait bien là — dernier espoir et suprême pensée — quelques billets dans une enveloppe, sous les draps, dans l'armoire. Mais la réserve de Léone était insuffisante pour payer le campement de quinze garçons, auquel le grand air aurait donné un appétit de loups, de petits loups ! D'ailleurs où trouver l'emplacement du camp? Le matériel nécessaire ?
Pour assurer quelques semaines de vacances à sa meute, la timide Léone se sentait capable de toutes les audaces. Aller «taper » un généreux mécène, par exemple. Encore aurait-il fallu connaître un mécène. Le quartier SaintFargeau n'en cède pas beaucoup hélas! Et pour cause...
— Tant pis ! Rien à faire! .., J'ai fait de mon mieux, d'ailleurs! Alors ?...
Mais une conscience comme celle de Léone n'abdique point. Elle avait fait de son mieux ! I] eût fallu tenter plus, se disait-elle,
Ah! elle n'avait pas changé, depuis sa prime enfance ... Cette crise morale qui la bouleversait maintenant, n'étaitelle pas semblable à ses révoltes d'enfant, quand, la première à quelque composition, elle se reprochait amèrement
LE FILM
d'avoir un 15 au lieu d'un 19. Elle voyait encore sa meilleure camarade, Rose Charleval, qui lui disait.
— Tu as tort de t'en faire, ma chérie! Moi, je trouve que la vie est belle... ce qui ne mempêche pas d'avoir été encore avant-dernière à cette composition |
Rose Charleval ? Ce nom, et plus encore le frais visage qu'il évoquait, mirent une bouffée d'air pur dans l'obscur logement. Rose: la bonne camarade, toujours enjouée, turbulente comme un garçon. La seule qui avait trouvé des paroles consolantes au moment du grand deuil de Léone. Qui avait su —
miracle en notre temps — mettre sa vie
d'accord avec ses principes.
Pour éviter à sa hantise, Léone se raccrocha aux souvenirs de Rose. L'évocation lui était douce, infiniment. Rappel des heures sans soucis, des grands projets de lycéenne, des premiers émois, des premiers livres lus dans le même enthousiasme.
Loin d'être riche, n'ayant aucune prétention à la beauté, Rose s'était juré, sitôt ses études achevées, de quitter Paris et d'aller vivre dans le petit domaine de ses parents, à Nanteuil, en Beauvaisis.
— J'y jouerai à la fermière, avait-elle coutume de dire.
Et quand on la grondait pour sa paresse qui n'était, en réalité, qu'une exquise ÉnBÈte elle répliquait :
— J'en saurai toujours assez pour épater mes vaches et mes canards!
Puis, il y avait eu cette tourmente dont Léone était sortie grisée. Les deux amies qui s'étaient juré éternelle affection, se trouvèrent séparées. Il y eut bien des lettres, mais de plus en plus espacées. Les appels de Rose suppliant son amie de venir la voir se firent de moins en moins pressants. Mais Léone redoutait de remuer, auprès de son ancienne condisciple, tant de cendres éteintes. Rlle ne vint jamais à Nanteuil. Maintenant, on s'envoyait une lettre au début de l'année. Quelques lignes banales. Un «faire-part», dit amèrement Léone, en recevant la réponse de Rose. cette année.
o
La cheftaine en était là de ses souvenirs, quand, soudain, son visage s'empourpra :
— Comment n'y ai-je pas songé plus tôt ? s'écria-t-elle.
Rose... la campagne... mes petits loups ? L'association d'idées n'était-elle pas providentielle ? Rose, toujours, avait été ingénieuse et bonne. Pourquoi ne trouverait-elle pas un moyen de faire héberger, dans son village, avec le minimum de frais, les quinze garçons ? Peut-être même chez elle, bien que le domaine fût bien modeste. Et l'imagination de Léone de travailler. Le merveilleux optimisme que, malgré qu'on en ait, on ne peut jamais perdre, à vingt ans, reprenait le dessus. Elle voyait déjà les louveteaux s'ébattant en pleine nature, revenir avec de bonnes joues. surtout André Michon, si chétif, Et Louis Tisserand et tous les autres ...
Une lettre à Rose, et...
Mais une saute de vent éteignit le feu de paille. Le bel enthousiasme tomba aussi vite qu'il était monté. Assite devant
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Toi