Le Film (oct 1946)

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Le Film, Montréal, octobre 1946 frante ? As-tu éprouvé une contrariété, un ennui ? — Non, je n’ai rien, dit-elle en se reculant avec un geste de frayeur. — Tu n'étais pas ainsi auparavant. La baie ne t’enthousiasme-t-elle plus? Regrettes-tu la France ? — Oh! non... Non, Alain, répondit-elle, tandis que des larmes venaient mouiller ses cils. — C’est bien vrai? La solitude à deux, dans ce port charbonnier, ne te pèse-t-elle pas ? Elle secoua la tête. Ardemment, il ajouta : — Parce que, si tu partais, si tu voulais retourner à Paris, ou à Toulouse, qu’estce que je deviendrais ? J'étais seul au monde, lorsque je t'ai connue. La vie ne m'avait apporté que des deuils. La mine avait pris mon père, comme elle avait pris le sien. Ici aussi la lutte est dure. Une concession dans une colonie, c’est une entreprise commerciale qu’il faut défendre contre les intrigues des voisins. Pourtant, si tu me restes, je trouverai mon sort enviable. Mais que deviendrais-je, chérie, si je ne t'avais plus ? — Mon Alain, je ne te quitterai pas, balbutia-t-elle en fondant en larmes. — Que l’avenir me conserve mon bonheur, répondit le jeune homme en pressant sa femme sur son cœur et en s’efforçant de la consoler. C'était la première fois qu’il la voyait pleurer depuis leur mariage et, malgré les paroles qu’elle venait de prononcer, il se sentit saisi d’un effroi instinctif. Le lendemain, quand l’aube se levait à peine sur la nuit exotique, Yvonne dit à son mari : — Puis-je me servir de la voiture, ce matin ? — Où comptes-tu aller ? — J'ai quelques emplettes à faire à Hanoï. Je voudrais profiter des premières heures du jour. — Eh quoi! Si loin! J’ai envie de t’accompagner. — Ne laisse pas ton travail pour moi, je t'en prie. Je sais suffisamment bien conduire pour aller beaucoup plus loin. — Oui, mais il faut passer la rivière. — Il y a le bac. D'ailleurs, j'emmènerai Lao. — Comme tu voudras, répliqua Alain, qui pensait qu'il serait imprudent de la contrarier. Ils étaient venus en Indochine dès après leur mariage. Il y avait un an. Le climat commençait peut-être à éprouver sa femme. Cependant, comme ils prenaient ensemble leur petit déjeuner, il proposa : — Fais un détour et, en passant dans la forêt, prends Tati. Elle sera contente d'aller à Hanoï. Yvonne fit un geste dénégation. — Veux-tu, dit-il, que je l’envoie chercher par Lao ? Elle devint pâle et répliqua, presque irritée : — Tati serait la dernière personne à qui je demanderais de m’accompagner. — Chérie, pourquoi repousses-tu les services de cette jeune Chinoise, alors qu’elle ne demande qu’à t’être utile, dans ce pays que tu connais imparfaitement, même aujourd’hui? Le père et les trois frères de Tati travaillent sous mes ordres. Je n’ai qu’à me louer d’eux. Tu vois que ma proposition ... — C'est à toi de me dire pourquoi j'éloigne Tati de mon foyer, coupa Yvonne. Alain, interloqué, réfléchit un moment. Il était malhabile à résoudre ces sortes d’énigmes. Il but donc son thé et sortit, après avoir souhaité un bon voyage à sa femme. A midi, quand il rentra, Yvonne était de retour au bungalow et paraissait plus calme. Elle était vêtue d’une robe de toile bise, sans manches. Il prit ses poignets et laissa remonter ses mains le long des bras nus. Soudain il remarqua avec étonnement : — Tu n'as plus ton bracelet? Ce cercle d’or que tu m'avais promis de ne jamais quitter, tu ne le portes plus ? — Pardonne-moi, Alain... Je... J'ai été assez sotte pour le perdre, répliquat-elle en se troublant. Il y a quelques jours, au bord de l’eau, j'ai plongé ma Notre recit d'amour complet par MICHÈLE DE COUSSAC COLOOCODESISELIOIILOLEIIICIIEIIIIIELE main dans les flots... Et le bracelet aura glissé dans la mer. — Tu m'étonnes! Je croyais avoir vu ce cercle à ton bras hier soir, lorsque tu ouvrais ton éventail. Oh! non! Tu te seras trompé, Alain. Voilà au moins trois jours que je ne retrouve plus mon bracelet. __ Je suis fâché que tu aies perdu ce bijou, dit le jeune homme d’un air contrarié. Ce n’est pas pour sa valeur, mais il était un symbole à mes yeux: celui de ton amour. Je te l'avais offert le lendemain de notre arrivée ici, tu te souviens ? I! portait ces mots, gravés en caractères hindous: Loin des yeux, près du cœur. Ainsi, lorsque je descendais dans la mine, seul en apparence, il me semblait que tu m’accompagnais, et que tu le ferais tant que tu porterais ce bracelet à ton bras. — Quel enfantillage ! dit Yvonne dont la poitrine se gonflait. Tu sais bien qu'avec ou sans ce cercle d’or, j'aurai pour toi la même tendresse, le même attachement. Ne parle pas toujours de notre séparation ou de la mort de notre amour. — C'est vrai, dit-il, j'ai tort de me montrer superstitieux. Mes Chinois le sont à un tel point! Raconte-moi ce que tu as fait à Hanoï, ce sera préférable. Elle répliqua dans un essai de sourire : — Cela est mon secret. 15 Puis, après une réflexion de cinq secondes : — Des achats pour notre logis. Il y a de si jolies choses dans cette merveilleuse Indochine! Mais j'aime mieux ce qu’on fabrique dans le pays que ce qu’on y im-. porte. : e Alain questionnerait les boys. Depuis une demi-heure, il était rentré et pas de trace d’Yvonne dans le bungalow. Il avait essayé de patienter, de raisonner. Il sentait faiblir en lui toute volonté. Déjà, ses lèvres s'étaient plusieurs fois entr'ouvertes. Il avait résisté. Enfin, il cria: — Vao-Buk! Le bep — le cuisinier — accourut, une casserole à la main. Il était en train de tourner une sauce. — Pour quelle heure Madame a-t-elle commandé le dîner ? s’informa Alain. Le bep plissa drôlement les paupières : — Madame Ingénieur rien dire à VaoBuk. — Bien. Envoie-moi Lao. Lao avait été à l’école française. Il comprenait beaucoup de choses et s’exprimait facilement. Alain le regarda avec anxiété : ; — Sais-tu où est Madame ? — Madame Ingénieur est sortie à cinq heures avec la voiture. — Cela m'étonne qu’elle ne soit pas rentrée. — Elle devait faire une longue course. « Pourquoi ne m’a-t-elle pas prévenu ? » pensa le jeune homme. Puis, tout haut: — Dans quelle direction ? — Elle ne me l’a pas dit Madame Ingénieur ne parle presque plus depuis qu’elle a reçu cette lettre. — Quelle lettre ? — Une lettre d’'Hanoï. Les yeux d'Alain se rivèrent encore davantage à ceux du boy: — Et quand elle a reçu cette lettre, Madame a paru troublée ? — Elle s'est demandé qui pouvait lui écrire de la ville; puis elle m’a ordonné de sortir. Le jeune homme ferma douloureusement les paupières. Allait-il questionner davantage ? Le Jaune savait-il la vérité ? De longues minutes passèrent. Il avait presque oublié Lao, toujours debout devant lui, le masque hermétique. A la longue, il dit: _ Pourvu qu'il ne soit pas arrivé d’accident à ma femme ! — Fong-Tchoue — le Dieu des chinois — est maître de la vie et de la mort, répondit le Chinois. — Lao, pars immédiatement sur la route d’Hanoiï. — Monsieur Ingénieur croit ? ... — Je pense, oui... Le petit homme s’inclina : — Je pars tout de suite, maître! Alain se mit à marcher de long en large. Il n’osait sortir, lui, de crainte qu’elle revint. Mais une tristesse si lourde, si poignante l’envahissait, qu'il n'aurait pu demeurer immobile sans gémir. Il releva la tête. Non, il se refusait à attaquer le caractère de sa femme. Ne lui avait-elle pas dit, la veille éncore, qu’elle l’aimait et ne le quitterait que pour la tombe ?