Le Film (oct 1946)

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34 Le Film, Montréal, octobre 1946 LA VENGEANCE DE TATI en rêve allongé dans sa fraîche couchette blanche. Des larmes affluaient à ses paupières gonflées que caressait la brise de mer. Ravalant ses pleurs, la jeune femme tira l’aiguille, tout en balbutiant entre ses dents serrées : — Comme je regrette ! Puis, humble, elle ajouta, toujours pour elle-même : — Tout ce que l’on cache est coupable. J'ai manqué de confiance envers Alain. Le supplice d’avouer qu’un membre de ma famille avait failli à l’honneur, n’eût pas été plus humiliant que sa rigoureuse attitude. & Femme sans époux, sans enfant, quel désert serait sa vie! Des jours de solitude et de silence tisseraient leur toile autour d'elle. Pouvait-elle croire la promesse que Pierre lui avait faite de retrouver Alain ? Ce frère criminel l'avait si souvent déçue ! Il trouvait de perpétuelles excuses à ce qu’il appelait gagner du temps. Il se servait de cette phrase à tour de bras. Comme il avait su l’apitoyer sur sa situation épouvantable, lui démontrant l’inexorable nécessité où elle se trouvait de le secourir, afin qu’il échappât coûte que coûte à son fatal destin !... Machinalement, elle passa sa main sur son front moite et fit entendre un soupir douloureux. Yvonne était malheureuse; mais sous son abattement, circulait malgré tout la joie étrange d’avoir tenté de sauver un infortuné, son frère. — Courage, dit une voix près d'elle, tandis que la main de Pierre s’appesantissait sur son bras. Elle sursauta : — Ah ! Pierre. Je ne t'avais pas entendu venir. Aussitôt, elle se leva : — As-tu appris quelque chose ? — Ma pauvre petite sœur, on apprend toujours quelque chose lorsqu'on a, comme moi, de mauvaises connaissances. Rien de tel qu’un malandrin pour découvrir un fugitif. — Et ensuite ? — Voici: Alain, après avoir erré une nuit dans la forêt, est revenu à Hangoï. Sans doute a-t-il eu des remords d’être parti sans prévenir son chef et n’a-t-il pas voulu déserter son poste. Un délai de quinze jours a été nécessaire pour qu'il obtint un congé du directeur général de la concession minière. Pendant ce laps de temps, il n’a cessé de travailler. Il ne sortait des puits que pour prendre ses repas. Il couchait à l'hôtel. Les boys se sont parfaitement rappelés ce client à l’expression abattue. — Mais après ? Après ? interrogea Yvonne avec une triste impatience. — Un Chinois, nommé Ming, qui travaillait au chantier, le suivait, paraît-il, tous les soirs, lorsqu'il quittait la chambre de radio, où il signaïit le cahier de présence. Mais ce diable de garçon est discret comme un juge. — Alors ? — Il faut s’en tenir à des suppositions. Mais Lao, ton ancien domestique croit avoir aperçu Alain du côté de la rivière. Nous supposons — car il faut s’en tenir à [ Suite de la page 31] des suppositions — qu’une fois son congé en poche, ton mari a repris le chemin de la forêt. Vraisemblablement, elle attire ceux qui n’ont plus d'espoir. La jeune femme frissonna. Elle ne pouvait se défendre contre le souvenir de certains récits; car la forêt était grande et elle n’en connaissait que le début. Elle balbutia : — La forêt! Ce repaire de mendiants et de bêtes! — Oui, celle où j'ai trouvé asile, après ma rixe avec cet Hindou. — Et où j'allais te visiter en tremblant. — Hélas!... Pauvre petite sœur, vois où ta compassion t'a conduite! Ah! tu aurais été plus sage en abandonnant ton frère coupable à son triste sort ! — Non, non, Pierre, s’écria Yvonne, retrouvant sa générosité, je ne regrette rien. Depuis que tu as quitté la maison, je te pleurais en secret. N’avons-nous pas partagé plaisirs et peines jusqu’à notre vingtième année? Quand tu m'as lancé un appel angoissé, je suis venue sans hésiter. — Misérable que je suis de t'avoir fait signe ! Mais, Yvonne, je voulais sortir de ma misère, de mes égarements. — Tu en sortiras, Pierre. Pour cela, j'ai fait un assez grand sacrifice. — Il est trop tard, sans doute, puisque, en me retrouvant, tu as perdu ton mari et connu le malheur. Par ma faute, te voilà vouée au deuil, à la solitude, à la souffrance. En prononçant ces phrases, le jeune homme marchait à pas saccadés, les joues creuses, les yeux égarés. Il reprit : — La vengeance appelle la vengeance. Celle qui t'a perdue aux regards de ton mari n’échappera pas à la mienne. — Grâce pour elle! fit Yvonne qui redoutait le pire. Tati, tu le sais, souffre comme moi. Non, Pierre, si tu veux avoir un but, un devoir, ce n’est pas de châtier cette malheureuse fille, mais de retrouver Alain, s’il en est encore temps. Ah ! qu’il ne meure pas avant d’avoir connu son erreur, avant que ne soit éclairci cet horrible malentendu. Pierre médita un instant sur ces paroles, puis il dit: — Je vais faire de nouveaux efforts pour te rendre le bonheur. Je veux réparer par tous les moyens en mon pouvoir le mal que j'ai causé. Il faut qu'Alain reprenne sa place à son foyer... à n'importe quel prix ! Ê Les jours suivants, Pierre se replia sur lui-même. Yvonne se demandait: Qu'attend-il pour courir, pour voler à la poursuite de l’absent ? Un matin, le jeune homme prévint sa sœur qu'il allait partir en tournée. Il avait fait l'acquisition d’une tente, d’une arme et de quelques provisions. Les Hindous signalaient des tigres dans la profondeur du bois de Hongaï, qui se trouve entre CuaLuc et le port. — Mais, demanda Yvonne, qui ne savait que trop de quelle forêt il s'agissait, es-tu certain que ce soit là qu’erre mon pauvre Alain ? — Je le pense, répondit-il. — Sais-tu quelque chose de plus ? N’astu rien appris ? — Tâche de prendre courage. Au bout d’un instant, Pierre ajouta d’une voix si timide que sa sœur la reconnut à peine : — Et si... s’il était trop tard, si je ne te ramenais pas ton mari... si je restais, moi aussi, dans cette forêt funeste, dont tu ne connais pas la profondeur, me pardonnerais-tu ? — Je vous unirais dans mon souvenir, répliqua-t-elle. Je ne cesserais de vous aimer jusqu'à la fin de ma vie. — Alors, au revoir, sœur, dit-il en l’embrassant. ; Quand ïil fut parti, elle tomba sur la natte et se mit à fondre en larmes. Ming vit Tati disparaître au bout de l’allée de manguiers. Elle portait un petit couffin et marchait vite. Ming ne pouvait pas la rattraper, car il boitait. Il s’était tordu la cheville en essayant de franchir une cascade, dans la forêt. Il avait pressenti Monsieur Ingénieur qui fuyait dans un décor de lianes et de hautes herbes, et il avait en vain tenté de le sauver d’une excursion où certainement il trouverait la plus horrible des morts. Le Chinois, sautant sur un pied, suivait pourtant sa bien-aimée, avec le sentiment irrévocable qu’il ne pourrait pas vivre sans elle. Comme la première fois, Tati gravit la colline. Elle demeura quelques instants attentive, immobile, avec un regard circulaire à l'adresse d’indiscrets possibles. Ming s’approcha en trottinant et vint examiner son manège, Quand elle eût mis le nez sur la caverne qu’habitait le fakir, il la rejoignit et lui prit le bras avec une vigoureuse ardeur. — Ah! tu m'as fait frayeur, dit-elle. — Qu'est-ce que tu fais là ? — Ne le dis pas, Ming, j'apporte le riz. — Si tu veux, Tati, nous irons tous les deux chez le fakir. Elle le considéra avec quelque étonnement. Ce n’était plus, ce soir, un redresseur de torts, un farouche justicier, mais un garçon détendu par une pensée chagrine. Elle dit: — Viens ! Ils s’approchèrent et appelèrent. Déjà, le vieillard était en leur présence. Ses yeux noirs flamboyaient. Il avança la main et se saisit du cadeau de Tati. — Merci, ma fille. Et toi, mon jeune ami, je suis heureux de te voir. — Maître, dit Ming, renseignez-moi tout de suite. Un homme blanc est parti dans la forêt. Il s’en va vers le centre, là où les tigres montent la garde devant les fontaines et où les serpents à langue violette s’enroulent aux branches des cocotiers. J’ai essayé de le suivre ; mais, voyez, oh! mon père vénéré, je n’ai pas eu assez d’adresse pour passer l’eau sans me blesser.