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Le Film, Montréal, octobre 1946
Le fakir s’appuya sur son bâton de bois et fit quelques pas dans la direction de la forêt lointaine :
— Je pressens bien des choses troubles dans la fuite de cet homme blanc, dit-il. Je le vois en grand danger. Mais, oh ! mon jeune fils, ne t’occupe pas d'intervenir dans son destin. Laisse-le aux mains des dieux.
Puis le grand vieillard eut un petit rire et, se tournant du côté de la jeune fille :
— Mais celle-ci est venue un jour à la lumière pour te servir de compagne. N’aie pas peur de sa faute. Elle a laissé dans l’aventure son envie de courir après l’homme blanc. Tu es revenu, c’est donc que tu l’aimes. Epouse-la.
— Je voudrais bien, répliqua Ming, mais elle, me suivra-t-elle ?
— Elle te suivra, dit le fakir avec son rire saccadé.
Le Chinois prit la main de la jeune fille qu’il serra légèrement :
— Ton visage est comme un miroir, fitil, où l'amour s’est laissé prendre. Veuxtu marcher sur mes pas ?
— Oui, répondit-elle, un peu honteuse, et il faut me pardonner d’avoir songé... à te préférer celui qui ne me cherchait pas.
— Je te fais grâce, dit Ming, les yeux brillants.
— Bien, répondit à son tour le fakir et, pour le reste, laissez faire Fong-Tchoue !
Pierre avait dépassé les derniers villages. Il se mit à écouter attentivement les bruits de la forêt. Il était dans une sorte de cathédrale de verdure. Les cimes végétales montaient à des häuteurs incalculables et les lianes dévoraient les branches avec vigueur. La clarté de la lune ne pénétrait que par d’étroits interstices. La nuit venait.
Tout le jour, les fauves avaient dormi, et le silence avait été total, en dehors des habitations. Mais, à cette heure, il fallait se méfier.
Pierre perçut, loin, le grondement d’un tigre. Puis une détonation éclata.
Si c'était Alain Gueheunec! se dit-il en frissonnant.
Il longea une végétation gluante, d’où s’échappait une forte senteur tropicale, Il pensait: Je vais doubler l'étape !
Il suivit une piste, Elle le conduisit à des buissons, puis à une mare vaseuse, puis de nouveau à un espace découvert.
Le jeune homme était en train de vérifier son fusil, lorsqu'il entendit, assez près de lui, plusieurs coups de feu. Il tourna les yeux de ce côté et vit, émergeant de la brousse, un tigre dont les yeux étincelaient avec une expression féroce. A quelques pieds en face de la bête, un blanc épaulait.
Il est presque impossible de tirer un animal sauvage à bout portant, pensa Pierre brièvement.
Poussé par une impulsion subite, ayant deviné l'identité du chasseur, il se précipita entre le tigre et lui.
— Prenez garde à vous, Alain Gueheunec! cria-t-il d’une voix haletante, Gardez-vous pour votre femme.
En même temps, il visait l'épaule de la bête. Le tigre prenait son élan. La balle l'effleura sans le blesser. Il atteignit Pierre et, furieux, lui déchira le flanc.
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