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Le Film, Montréal, mars 1947
LES ILLUSIONS FANÉES
ECROQUEVILLÉE dans un coin du compartiment où elle avait pris place quelques heures auparavant, Jacqueline Desrivières laissait errer son regard embué de larmes sur le paysage tourno‘yant du train. i C'était une belle jeune fille, dans tout lépanouissement de ses dix-huit prin‘temps... Mais une immense détresse se ilisait sur son visage expressif et doux, dans ses yeux dont l’éclat mélancolique accentuait la beauté. Une chevelure blonde, dorée comme celle des anges, la nim: bait de lumière, éclairant les tristes habits de deuil qui la vêtaient.
Elle soupira profondément, l’âme accaparée par un souvenir déchirant, et mur mura d’une voix affaiblie par des sanglots difficilement contenus :
— Pauvre papa !
Ses mains, posées sur ses genoux trem‘blèrent, se crispèrent ainsi que les com.missures de ses lèvres :
— Mon petit papa! Pourquoi m'as-tu laissée seule sur la terre ?
— Allons, mademoiselle Desrivières ! Du courage !
Elle eut un faible sourire et remercia du regard un homme de petite taille, d’une soixantaine d’années, entièrement chauve, _dont les yeux, intelligents et bons, se dissimulaient derrière un binocle d’or.
Il hocha la tête, s’efforça de prendre un ton encourageant :
— Du courage ! répéta-t-il. Bientôt, vous -allez retrouver une nouvelle famille !
Elle releva la tête.
— Quelle famille ? Je ne les connais pas! Pensez-vous d’ailleurs que je puis être heureuse, maintenant ?
— Ils vous aimeront... Ils vous aideront à traverser cette pénible épreuve ...
— Hélas ! Je sais bien qu’ils ne m’aiment pas, moi, la fille d’une mère qu’ils détestaient et d’un père qu’ils méprisaient. On n’a jamais pardonné à papa son mariage, vous le savez bien!
— Allons, mademoiselle ... Votre oncle Mallasoit a eu certainement des torts, mais n'oubliez pas qu’ils habitent la province et qu’ils ont la mentalité du lieu.
— Puis-je, avoir confiance en des gens qui haïrent ma mère parce qu’elle était artiste ?
Le vieil homme haussa les épaules, l'air désabusé.
— Que voulez-vous! Ce n’est pas leur faute ...
— Mais ïls ne la connaissaient pas! Ils ne l’avaient jamais vue! Pourtant, si vous saviez comme elle était belle, comme elle chantait bien !
Maître Vizeux sourit.
— Je sais... Eliane-Flora était l’idole des Parisiens, et certainement la meilleure interprète de notre répertoire lyrique.
Notre
récit d'amour complet par
Une lueur illumina le visage pur de la jeune fille.
— Ce fut pour moi la plus adorable dès mères !
Jacqueline joint les mains dans un geste spontané,
— Et pourtant, le ciel me l’a prise, un soir... subitement! Pourquoi? Nous ne demandions qu’à être heureux !
— Notre destin est semé d'épreuves, mademoiselle ! Notre devoir est de toujours les surmonter ..
— Il faut en avoir la force ! Moi, je me sens brisée, car c’est trop... Papa mort aussi ! Mon dernier soutien ! Ma seule affection... Un souvenir, lui aussi... Je n’ai plus que des souvenirs, et aucune espérance !
— Allons, allons! calmez-vous! Soyez forte ! Il le faut... Vous avez l’avenir devant vous, ma petite enfant...
Avec des gestes malhabiles et timides, maître Vizeux essaie de la consoler. Mais l’homme se sent impuissant devant cette grande douleur, et ses mots sont vains.
Un pli barre le front de l’orpheline,
lentement, elle se tamponne les yeux.
— Mon oncle et ma tante ne nous ont jamais aimés. Ils ne sont même pas venus à l'enterrement de mon pauvre papa !
— Leurs occupations... voulut protester Me Vizeux.
Elle eut un petit geste.
— Ne les défendez pas, allez! Je comprends leur attitude. Je m'efforcerai de ne pas leur en vouloir, puisque c’est désormais auprès d'eux que je dois vivre.
— Vous avez raison ! Jusqu'à votre majorité, votre oncle et votre tante sont vos tuteurs... Une bonne entente sera donc préférable pour tout le monde. Enfin, c'était la volonté de votre malheureux père, qui prévoyait les difficultés sans nombre qui vous auraient assaillie, mademoiselle, si vous étiez demeurée seule à Parise
— J'aurais travaillé !
— Travailler à Paris ? Vous rendez-vous compte de ce que c’est pour une jeune personne de votre âge ? Lui-même l’a appris... plus tard.
Jacqueline poussa un soupir.
— Mon père sera obéi... Sa volonté sera faite ! D'ailleurs rien ne pourra plus me faire souffrir !
8
Le rapide, haletant, glissa lentement sous les voûtes sombres de la gare de Saintes. Une foule bruyante d'employés et de voyageurs se ouscrisient sur les quais encombrés.
Maître Vizeux ouvrit la portière, descendit les bagages et tendit la main à la jeune fille. Un instant, ils demeurèrent im
mobiles, au milieu du brouhaha, puis ils gagnèrent la sortie.
Dans la salle d’attente, ils s’arrêtèrent à nouveau, dévisageant chaque personne dans l'espoir de trouver quelqu'un de la famille. Mais ils durent vite se rendre à l’évidence : on ne les attendait point. Ils échangèrent un muet regard et le vieux notaire détourna la tête. Jacqueline sentit son cœur se serrer. Courbée sous le poids de sa douleur, elle s’empara de sa mallette et suivit son compagnon jusqu’à la voiture que celui-ci venait d'arrêter.
Quelques instants plus tard, ils arrivaient rue Victor Hugo, où l’oncle Mallasoit avait installé son magasin de nouveautés et de confections.
Jacqueline poussa timidement la porte, qui tinta, tandis que le chauffeur déposait les bagages sur le trottoir.
Le magasin était divisé en deux parties d’égale grandeur: l’une réservée à Ja confection masculine, l’autre à la confection féminine. Au milieu était la caisse. Une dame d’un certain âge, aux cheveux grisonnants, aux traits fortement accentués, à la peau sèche et flétrie, s’y tenait.
Jacqueline s’avança lentement vers elle, suivie par Me Vizeux.
— Madame Mallasoit, s’il vous plaît ?
— C'est moi-même! répondit la caissière d’une voix brève, tandis qu’elle inspectait de bas en haut la nouvelle arrivante.
Un doux sourire éclaira le visage de l’orpheline,
— Je suis votre Bonjour, ma tante!
— Ah! très bien!
La jeune fille avait fait un pas en avant pour embrasser sa nouvelle parente. Mais Mme Mallasoit détourna la tête et sourit à une cliente qui arrivait à son tour, un paquet sous le bras, accompagnée d’une jeune fille de l’âge de Jacqueline, revêtue d’une blouse noire.
Les deux femmes bavardèrent un instant sans s'occuper de Jacqueline.
Le vieux notaire, avait pris son bras et le pressait affectueusement, comme s’il voulait lui dire: patience... courage !
Enfin la cliente partit. La vendeuse, après avoir fermé la porte sur elle, revint et demanda, dévisageant l’orpheline :
— C’est Jacqueline, ça ? ;
— Oui... répondit Mme Mallasoit en fermant le livre sur lequel elle venait d'inscrire la vente... Va chercher ton père.
Celui-ci arriva: gros bonhomme au visage vulgaire. Il avait plus de six pieds et de nombreux fils accrochés à son ves
nièce, Jacqueline...
“ton. Un grand garçon d’une vingtaine
d'années le suivait. — Jacqueline ! dit Ja tante en la désignant du doigt.
ROBERT JEAN-BOULAN