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Bras tendus elle allait la recevoir, quand Monique s’immobilisa soudain à la voix de sa mère qui disait:
— Reviens à ta place, vilaine fille!... Laisse ta cousine tranquille... puisqu'elle est fatiguée !
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Le lendemain matin, vers dix heures, Me Vizeux revint chez les Mallasoit. Il fut accueilli avec les marques de la plus basse obséquiosité, ce qui eut le don de l’exaspérer et de l’inquiéter en même temps.
— Je voudrais parler à mademoiselle Desrivières! dit-il d’un ton sec, coupant court aux protestations d'amitié.
— Mais certainement, mon cher maître, répondit Eugénie. Lucienne, va donc voir si Jacqueline peut descendre... Dis-lui que Me Vizeux serait désireux de la voir.
Quelques instants plus tard, l’orpheline parut. À la vue du vieux tabellion, un rayon de bonheur l’illumina. Elle courut vers lui.
— Mademoiselle Desrivières ! fit-il, tout ému, en s’emparant affectueusement de ses mains.
Ils s’assirent en silence l’un à côté de l’autre, près de la fenêtre.
Me Vizeux jeta un regard significatif à la tante et à Lucienne, qui étaient demeurées dans la pièce. Elles comprirent qu’elles étaient de trop.
— Âlors, nous vous laissons, fit la tante Mallasoit d’un air pincé. Vous avez sans doute des choses personnelles à vous dire... À tout à l’heure !
Dès qu'ils furent seuls, Jacqueline s’écria :
— Oh! maître Vizeux ... mercie d’être venu !
Je vous re
— Comme cela, sans vous dire au revoir ? Pas du tout! Je vais partir tout-àl'heure, et c’est justement ma visite d'adieu que je viens vous faire.
— Je vais me trouver bien seule ...
— Mais non! Vous verrez que vous vous habituerez à votre nouvelle existence, Je suis persuadé que vos parents adoptifs sont bons et qu’ils vous aimeront. C'est une question de patience ...
La jeune fille hocha la tête :
— Je crains d'être une charge pour eux... cela me gêne, et de plus je suis certaine que cette condition me retranchera toujours de leur affection...
Me Vizeux, fronca les sourcils, hésita, ouvrit la bouche à plusieurs reprises ; puis, esquissant un geste fataliste, parla :
— Ecoutez, mademoiselle Desrivières, il vaut mieux que vous sachiez la situation, telle qu’elle ést. Oui... cela sera mieux, ce sera plus tard plus net. Voilà: vous ne serez jamais une charge matérielle pour vos tuteurs...
— Comment cela ?
— Parce qu’ils recevront au premier de chaque mois une pension suffisante qui les dédommagera des frais que votre présence pourra leur occasionner. Vous savez que votre malheureux père a laissé une petite fortune qui vous reviendra à votre majorité. J'ai pris sur moi de proposer hier soir à vos tuteurs cet arrangement ...
— C’est pour cela qu’ils sont si disposés à obéir aux dernières volontés de mon papa chéri!... riposta la jeune fille amèrement...
— Il faut leur pardonner... Ce sera mieux ainsi et pour eux et pour vous. Vous serez plus tranquille.
— Vous avez très bien fait!
— De plus, je vous enverrai chaque mois une petite somme que vous me fixerez dès que vous connaîtrez vos besoins d’existence, afin que vous puissiez équilibrer vos frais d'entretien et de toilettes... Ne craignez rien, toutes ces sommes seront supportées par les intérêts du capital dont j'ai la gérance. Vous trouverez donc celui-ci intact plus tard...
—Je vous remercie, cher maître. Ces arrangements me libèrent d’un grand souci. Et vous avez bien fait de m’en parler.
— Voilà, il faut que je vous quitte... Mon train est dans trois quarts d'heure et je dois passer à l’hôtel ...
Il se leva :
— Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’un conseil, d’un appui quelconque, je vous demande instamment de me considérer comme votre ami et de vous ouvrir à moi avant tout autre...
Jacqueline sentit ses yeux s'embuer de larmes.
— Je vous le promets! balbutia-t-elle. Merci... merci!
— Au revoir... ma petite fille!
III — EPREUVES
UELQUES JOURS après son arrivée chez sa tante Eugénie, Jacqueline put, hélas, constater que ses appréhensions avaient été pleinement justifiées. Bien que ne se trouvant nullement à charge chez la sœur de feu son père, comme le lui avait répété Me Vizeux, la malheureuse orpheline eût tôt fait de comprendre qu'en se rendant utile par son travail on en viendrait à ne plus voir en elle une intruse. Mais ce qui devait arriver arriva : on abusa de sa bonne volonté, tant et si bien que l'opinion publique s’en émut. Le bon curé de la paroisse vint lui-même s’enquérir de sa nouvelle fidèle qu'il ne revoyait plus tous les matins à la messe. Tout cela fit faire volte-face à la mesquine tante Eugénie Mallasoit. La nouvelle tactique conciliante de cette dernière et la gentillesse de la charmante petite Monique parut enfin procurer un peu de bonheur à Jacqueline Desrivières.
IV — LE SOLEIL DE L'ENFANT
N REVIREMENT de l'opinion publique en sa faveur fut un baume salutaire pour la malheureuse orpheline. Elle avait abandonné son travail et pouvait re
prendre lentement le goût de la vie, D’autant plus que tante Eugénie semblait avoir adopté une nouvelle attitude à son égard.
Deux faits avaient motivé cette transformation. D’abord une lettre de Me Vizeux qui, en apprenant quel régime on faisait subir à sa jeune cliente, avait menacé les tuteurs d’un scandale. N'’étaient-ils pas amplement rémunérés pour toutes les dépenses qu'occasionnait la présence de Jacqueline à leur logis? Tante Eugénie avait eu peur.
Le deuxième événement qui l'avait décidée avait été la visite de M. le Curé. Celui-ci avait, dès les premiers jours, remarqué l’assiduité de la jeune et jolie paroissienne. Il avait pris ses engagements et s'était proposé d’aller la voir. Ne l’apercevant plus à l’église, ayant entendu dire
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Le Film, Montréal, mars 1947
qu'elle était souffrante et peut-être malheureuse, il s'était décidé.
Le:curé Bouis sut trouver les mots qu'il fallait pour rassurer l’âme de Jacqueline et juguler les mauvais instincts de sa tante.
Devant cette double autorité, tante Eugénie s'était inclinée. D'ailleurs, de nouvelles préoccupations l’assaillaient, la détournaient de Jacqueline.
Celle-ci vécut alors des journées de détente, de repos. Elle put retourner à l’église où elle revit le bon curé Bouis avec lequel elle eut de longs entretiens.
Enfin, un événement lui fit comprendre combien tout était changé pour elle. Jusqu’à sa maladie on avait pris soin d'éviter tout contact entre elle et la petite Monique.
Un matin — c'était un jeudi — Jacqueline était descendue dans la cour, afin de profiter d’un rayon de soleil. Elle s'était assise dans sa chaise longue et travaillait à une broderie quand une voix fraîche la tira de la méditation dans laquelle elle était plongée.
— Coucou! Cousine Line!
Elle se retourna. Monique accourait en riant. Elle se jeta dans ses bras et l’orpheline la tint longtemps serrée contre elle.
— Chérie !
Elle la fit grimper sur ses genoux. Une lueur heureuse irradiait son front. H lui semblait qu’un grand poids libérait sa poitrine et qu’une vie nouvelle commençait.
— Et toi, demandait la fillette, tu m'’aimes aussi ?
— De tout mon cœur !
— Alors pourquoi étais-tu toujours triste !
— Je ne suis plus triste !
Un rayon de soleil dansait dans l’âme de Jacqueline. Une douceur étrange l’envahissait. Immédiatement elle songea qu’il faudrait remercier tante Eugénie.
Justement, elle l’entendait marcher dans la salle à manger. Elle y courut. Mme Mallasoit était en grande conversation avec Lucienne qui semblait étreinte par une émotion indescriptible.
Les deux femmes s'interrompirent à l'approche de leur parente.
— Que veux-tu ? demanda Eugénie.
— Oh! Tante, tante, je voulais vous remercier d’avoir permis à Monique de venir m'embrasser.
— Mais c’est la moindre des choses! répondit la mère, maintenant que tu vas mieux !
— Merci, nous nous aimons bien toutes les deux.
Jacqueline embrassa tante Eugénie et celle-ci non seulement ne la repoussa pas mais lui rendit son baiser, ce qui confondit la jeune fille. C'était vraiment trop de bonheur à la fois! Depuis son deuil elle se sentait heureuse pour la première fois.
— Va prendre l'air dans la cour avec Monique, dit Mme Mallasoit, cela vous fera du bien à toutes deux.
Jacqueline ne se le fit pas répéter, Sans s'apercevoir du trouble de ses parentes, elle repartit rejoindre sa nouvelle petite amie, qui, délicatement, peignait sa poupée. ï
À peine eut-elle quitté la pièce que Lucienne s’avança vers sa mère.
— Je t'assure que c'est très sérieux! dit-elle.
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